Lumineuse révolte
Avec Do Not Obey, le groupe turc Baba Zula fête ses vingt ans d’existence et poursuit sa résistance chamanique à l’oppression.
dans l’hebdo N° 1427 Acheter ce numéro
« L’état d’urgence est un merveilleux outil pour réduire les gens au silence », explique Murat Ertel. Un constat amer qui ne s’applique pourtant pas aux membres du groupe stambouliote Baba Zula, dont il est l’un des piliers. À l’heure où une large partie des artistes et des intellectuels turcs envisagent l’exil pour échapper à la répression d’Erdogan, Baba Zula ne lâche pas prise et continue de prodiguer sa musique hautement libertaire dans les sous-sols d’Istanbul. « One, two, three, do not obey ! », scandent immanquablement les artistes au cours de leurs concerts. Et le public les suit, comme à l’époque où Istanbul était une capitale culturelle attractive, noctambule, branchée…
Les paroles des chansons du huitième album de Baba Zula, Do Not Obey, favorisent le double sens, le sous-entendu et la métaphore comme parades à la censure. La musique, quant à elle, ne fait aucune concession à l’air du temps mauvais. Traduisant avec une incroyable effervescence le cosmopolitisme portuaire qui caractérise cette mégalopole à la croisée de l’Orient et de -l’Occident.
Fondé en 1996, Baba Zula réunit Levent Akman, Murat Ertel, Özgür Çakırlar, Periklis Tsoukalas et Melike Sahin, qui mettent leurs voix, leurs instruments et leur sampler au service de ce qu’ils appellent eux-mêmes un « dub oriental [qui exprime] la psychédélie d’Istanbul ».
Le brassage culturel et temporel ne s’arrête pas là. Certains accents joués par Murat Ertel au saz [^1] électrifié emmènent l’auditeur vers des climats plus rock’n’roll, tandis que la flûte ney reflète l’ancestral soufisme. Et ce n’est pas la suite de cet instrumentarium extraordinaire (thérémine, oud électrique, darboukas, cuillères en bois, jouets divers servant de percussions, clarinette…) qui contredira l’éclectisme et la transdisciplinarité d’un groupe décidément hors normes. Sans oublier le chant et la danse qui relient les cultures et les temporalités.
Sur scène, le spectacle est entier : aux bigarrures sonores qui électrisent l’oreille répond la beauté truculente de ces chamans des temps modernes. Musiciens de la lumière et de l’espérance révoltée, ils savent aussi se mettre en perspective, voire en retrait, et excellent dans l’accompagnement de films muets ou la composition de musiques de films (Renkli Türkçe, d’Ahmet Çadirci, 1999 ; Crossing the Bridge, de Fatih Akin, 2005…). Le 12 novembre, les Parisiens auront la chance de voir Baba Zula en live.
[^1] Luth turc à long manche.
Do Not Obey Baba Zula, Milan Records. En concert le 12 novembre, Le Petit Bain, festival Villes des musiques du monde, Paris XIIIe.