Lycées : virés des ZEP ?
Les enseignants et personnels de plus de soixante-dix établissements font grève le 17 novembre. Ils craignent leur sortie du dispositif Éducation prioritaire, et la disparition des moyens afférents.
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Depuis le mois de septembre, la salle des profs est plus animée que d’habitude dans certains lycées estampillés « éducation prioritaire ». Tous se posent la même question : les lycées seront-ils rayés de la carte de l’éducation prioritaire ?
Entre deux corrections de copies, les enseignants tentent de trouver du temps pour scruter chaque déclaration du ministère de l’Éducation nationale, convaincre leurs collègues de les rejoindre dans leurs actions et établir un plan de bataille pour renforcer leur mouvement de grève. Entamé dès la rentrée par le lycée Joliot-Curie de Nanterre, il s’est étoffé progressivement de plusieurs académies et syndicats pour des grèves et des manifestations le 29 septembre et le 11 octobre. À chaque étape, les enseignants mettent un peu plus la pression sur le ministère, et tous espèrent avoir des réponses à l’issue des mobilisations du 17 novembre.
En effet, depuis la réforme des zones d’éducation prioritaires (ZEP) en 2014, tous errent dans le brouillard quant à leur statut, leur devenir et leur utilité. La nouvelle carte des 1 082 réseaux d’éducation prioritaire (REP), fièrement dévoilée par la ministre Najat -Vallaud-Belkacem, ne concernait que les écoles et les collèges. « À l’époque, on nous répondait que les lycées seraient intégrés par la suite dans le dispositif, que des réunions seraient organisées, mais elles n’ont jamais eu lieu, raconte Claire Guéville, secrétaire générale du Snes-FSU, en charge des lycées. Peu à peu, les enseignants et les personnels ont pris conscience que les lycées n’étaient plus concernés par la carte d’éducation prioritaire, et du message implicite : la scolarité s’arrête à la troisième. »
Une supposition confirmée par une lettre de Najat Vallaud-Belkacem adressée au député des Hauts-de-Seine en avril dernier. La « refondation de l’éducation prioritaire que nous avons engagée est axée sur la scolarité obligatoire, c’est-à-dire l’école et le collège », écrit-elle. Un choc pour les enseignants. « Cette lettre a vraiment mis le feu aux poudres, car nous avons compris que tout se faisait en catimini », souligne David, professeur de mathématiques depuis sept ans à Colombes. Les enseignants des Hauts-de-Seine sont les -premiers à réagir. Ils -organisent une garden-party sous les fenêtres du ministère de -l’Éducation nationale, rédigent un appel et forment le collectif « Touche pas à ma ZEP » pour alerter les académies qui ne sont pas au courant. « Nous défendons deux idées. D’abord, regrouper tous les lycées qui devraient être en ZEP, puis regrouper tous les labels qui se sont accumulés depuis plusieurs années, poursuit David. Ce n’est pas possible de rester dans cette situation explosée. Même les profs n’arrivent plus à s’y retrouver, et certains ne savent même plus à quoi correspondent les labels. »
De fait, il y a de quoi s’y perdre. APV, RAR, Clair, Éclair, ZEP… Depuis la mise en place des zones d’éducation prioritaire en 1981, les sigles se sont succédé, complétés, cumulés pour montrer qu’ils ciblent bien les difficultés scolaires et sociales des élèves vivant dans des quartiers sensibles. Et le gouvernement Hollande a perpétué la tradition en créant les REP et les REP+ pour « refonder l’éducation prioritaire ». Car des moyens supplémentaires sont accordés à ces établissements : des classes moins chargées, des indemnités annuelles pour les enseignants, le dispositif « plus de maîtres que de classes »…
Pour Pierre Merle, sociologue au Centre de recherche sur l’éducation, les apprentissages et la didactique de Rennes, il ne s’agit pas d’une refondation, mais seulement d’une relance semblable à celle des gouvernements précédents. « L’important n’est pas le label, qui a plutôt un effet négatif, mais sa conséquence. Or, la critique majeure de cette politique est d’avoir distribué des labels sans avoir réalisé la discrimination positive suffisante qui devait en découler, analyse-t-il. On change les noms, mais on retrouve les mêmes logiques : parmi les établissements en difficulté, certains sont encore plus en difficulté, donc, ceux-là, on va les aider davantage – en créant les REP+. Même si, dans les faits, ça ne se vérifie pas vraiment. »
Yann, professeur de philosophie depuis vingt ans, a vécu les hauts et les bas de cette politique scolaire. « Les premières années, je me suis retrouvé affecté en Picardie, dans un établissement qui avait mauvaise réputation. Quand je suis arrivé, les collègues étaient en grève et il y avait même eu une émeute. Nous étions donc classés en ZEP et Politique de la ville, zone prévention violence. Nous avons assisté à pas mal d’expérimentations : nous avons eu le label Ambition réussite, puis Espoir banlieue, et nous avons même été un des lycées pilotes du programme Éclair, vite abandonné… Finalement, tous ces labels n’apportent rien, seul le classement ZEP nous donne des moyens supplémentaires », explique-t-il. Dans son lycée de Montataire, dans l’Oise, les classes de secondes sont passées de 24 élèves lors de son arrivée, il y a quatorze ans, à 29 aujourd’hui. Pourtant, tous restaient confiants en une réforme qui devait venir. « On pensait garder un statu quo_, voire être crédités d’une hausse de moyens, car, avec le baby-boom de l’an 2000, il était prévisible que le nombre d’élèves augmente »_, indique-t-il. Mais rien.
Après une manifestation fin septembre, essentiellement suivie par les académies franciliennes, d’autres lycées ont rejoint la bataille, comme à Marseille. Tous travaillent à convaincre d’autres établissements de les rejoindre pour faire grève le 17 novembre. Dans l’académie d’Aix-Marseille, les professeurs sont particulièrement déterminés et souhaitent fixer un ultimatum à la ministre. « Cette réforme nous propose clairement une école à deux vitesses, s’agace Marie-Hélène, professeur de mathématiques au lycée Victor-Hugo, à Marseille, et syndiquée à SUD-Éducation. Nos avantages liés au statut ZEP dépendent désormais du bon vouloir des recteurs. Autour de mon lycée, tous les collèges sont classés REP. Logiquement, nous estimons que les élèves sortant de 3e ont le droit de poursuivre leur cursus scolaire en éducation prioritaire. »
À Dreux (Eure-et-Loire), la mobilisation prend aussi de l’ampleur. Des lycéens ont même manifesté le 10 novembre. « Au-delà de l’amélioration des conditions d’enseignement au quotidien, l’éducation prioritaire permet une vraie mixité sociale, affirme un professeur du lycée Édouard-Branly. Dans notre lycée, nous accueillons des élèves originaires aussi bien de la campagne que du centre-ville ou des quartiers plus chauds. »
Après la tactique du silence, la ministre a fait un premier geste envers les profs de lycée : leur indemnité spécifique sera prolongée. Une note de service du ministère évoque même une prolongation jusqu’en 2019. « C’est insultant, car nous nous battons surtout pour les conditions de nos élèves, pas pour notre prime ! », s’exclame Valentin, professeur à Goussainville (Val-d’Oise). Pour d’autres, c’est le signe que personne n’avait prévu leur rébellion et que le gouvernement improvise au fur et à mesure que la mobilisation grossit.
Début novembre, Najat Vallaud–Belkacem a évoqué ce mouvement de grève lors d’une commission à l’Assemblée nationale, à propos du projet de loi de finances 2017. « Nous avons déjà mis 350 millions d’euros supplémentaires sur la réforme de l’éducation prioritaire. Je pense que nous devrons aller plus loin dans le quinquennat prochain, a-t-elle répondu aux députés_. Les lycées, à juste titre, réclament de bénéficier des mêmes moyens et accompagnements que leurs collègues de collège. Ils ont bien raison et il faudra faire cette réforme des lycées de l’éducation prioritaire. »_ Rendez-vous au quinquennat prochain ? Une déclaration bien sibylline, alors que l’Éducation, avec la jeunesse, était la « première priorité » de François Hollande en 2012.