Massilia Afropéa : L’identité nombreuse
Avec Massilia Afropéa, dont la première édition a eu lieu du 28 au 30 octobre à la Friche Belle-de-Mai, à Marseille, Eva Doumbia poursuit son action en faveur de la diversité des récits.
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« Quand tu n’es pas invité à une fête à cause de ta couleur de peau, tu n’as qu’à faire ta propre fête », dit Djinn Carrenard pour expliquer sa pratique du « cinéma guérilla ». Le réalisateur haïtien n’était pas pour rien invité au festival Massilia Afropéa : son esprit de résistance et d’indépendance correspond si bien à l’événement organisé par la metteuse en scène Eva Doumbia à la Friche Belle-de-Mai, à Marseille, que celle-ci reprend avec plaisir la formulation. À l’image de son théâtre hybride, où musique et littérature sont mises au service d’imaginaires métissés, la première édition de son festival fut en effet une fête, où le public est venu nombreux. Et pas seulement pour des raisons théâtrales : avec huit spectacles, des conférences, des projections et un salon dédié à la mode et à la beauté noires, le programme Massilia Afropéa a été aussi riche et varié qu’exigeant.
« Tu as déjà vu la Friche comme ça ? » En achetant une robe qu’elle portera le lendemain pour sa performance Communauté avec la danseuse et chorégraphe Kettly Noël, Eva Doumbia jette un regard panoramique sur la Grande -Cartonnerie, où est installé le salon Boucles d’ébène : aucun doute, son joyeux « comme ça » désigne les personnes qui se pressent entre les stands de produits de beauté et de créateurs. Un public en majorité noir. Membre du collectif Décoloniser les arts [^1], Eva Doumbia avait déjà organisé en 2015 un week-end afropéen au Carreau du Temple, à Paris ; Massilia Afropéa s’inscrit dans une démarche militante de longue haleine autour de l’« afropéanité ».
Utilisé dès la fin des années 1980 par des auteurs comme Kossi Effoui et Koffi Kwahulé, puis popularisé en France par Léonora Miano à travers le recueil de chroniques Habiter la frontière [^2], ce terme désigne les personnes nées de parents africains ou caribéens ayant grandi en France. Il est toute-fois compris et vécu de manières diverses, notamment par les artistes programmés lors de Massilia -Afropéa. Si Eva Doumbia le pense en termes d’identité et de communauté, et se définit comme afropéenne, beaucoup considèrent le mot avec une certaine réticence. Ou du moins insistent sur leur ouverture à l’Autre, comme pour prévenir tout risque de malentendu. De même que Léonora Miano, Eva Doumbia prône pourtant une « poétique de la relation », dans l’esprit d’Edouard Glissant.
C’est le cas de Ludmilla Dabo, interprète d’Afropéennes, créé par Eva Doumbia en 2012, présente au festival avec une étape de sa prochaine création. « L’afro-péanité m’intéresse pour ce qu’on peut en faire sur le plateau. Pour les formes hybrides qu’elle suscite dans la plupart des créations, et qui sont un moyen de convoquer une universalité », dit-elle. Porté par quatre comédiennes et musiciennes d’horizons divers, My body is a cage traitera de l’épuisement du corps féminin sans passer par la question des origines. Du moins de manière explicite.
Avec ses performances autofictives L’Estomac dans la peau et Monstres d’amour, Rébecca Chaillon revendique elle aussi un « je » complexe. Formée entre autres par Rodrigo Garcia et par un stage à l’école Jacques-Lecoq, elle déploie à partir du geste de l’ingestion un imaginaire de la différence dans lequel couleur de peau et culture martiniquaise entrent en jeu. Mais guère plus que le poids et la sexualité.
Si elle part du titre du livre de Léonora Miano, la danseuse et chorégraphe martiniquaise Patricia Guannel aborde quant à elle, dans Habiter la frontière, la question de l’identité frontalière par la seule force de son corps. « Bien sûr, ma danse est, comme n’importe quelle autre, marquée par des origines précises, mais elle s’adresse à tous », explique-t-elle.
Avec Mercy/Home, adaptation de deux romans de Toni Morisson portée par des élèves de l’École régionale d’acteurs de Cannes (Érac) et mise scène par Eva Doumbia, la fête de Massilia Afropéa a également eu son quart d’heure américain. Peu romantique, on s’en doute, mais très réussi.
[^1] Voir Politis n° 1402.
[^2] L’Arche Éditeur, 2012.