Pourquoi ils sont devenus véganes
Pour l’un, c’était la souffrance animale. Pour l’autre, des préoccupations de santé. Pour tous, c’est devenu un choix éthique et politique. Et un mode de vie assumé dans la sérénité. témoignages
dans l’hebdo N° 1429 Acheter ce numéro
Les véganes vivent plutôt en ville, mais pas seulement. Ils sont plutôt écolos, mais se rattachent difficilement à un mouvement. Ils sont véganes à la maison, végétariens dehors, et jamais à 100 %, parce que ce choix implique de se passer de tout produit issu des animaux. Ça n’est pas une religion mais un choix politique, conséquence d’une prise de conscience de la souffrance que l’homme inflige à l’animal dans nos sociétés surconsuméristes. Ils se font donc à la fois critiques de l’agriculture intensive et de l’anthropomorphisme. Tantôt activistes, parfois extrémistes, ils sont souvent rationnels et très informés.
Kevin, 23 ans, Paris
Né « viandard » dans une famille de « viandards » de Dijon et petit-fils de chasseurs, Kevin a vu dépecer des animaux dès le plus jeune âge et sans trop d’états d’âme : « J’étais même assez moqueur avec les végétariens ; pour moi, le goût dominait. » À 17 ans, il est devenu végane en une semaine, sans passer par la case végétarisme. « Je suis allé au plus radical. » Le déclencheur ? « Des raisons éthiques liées à la souffrance animale. » Son cousin lui en avait parlé quand il avait 15 ans. À 17, cet enfant d’Internet se plonge dans des textes et des vidéos en ligne. Il découvre l’envers du décor. Et les recommandations de personnes référentes, comme le diététicien Jérôme -Bernard-Pellet. « Ça n’est pas l’argument de la santé qui m’a motivé. » Mais sa sensibilité, son empathie. Il décide de se passer de viande : « J’adorais ça et pourtant ça ne m’a jamais manqué ! Ce que j’ai vu et appris m’a complètement écœuré. »
Exit aussi les produits issus du monde animal : « J’adore cuisiner, et il existe plein de recettes sympas, même si, pour le fromage, il n’y a guère qu’une marque bio vraiment convaincante. » L’alcool ? « Plus difficile… L’argument végane contre le vin, c’est que les vignerons utilisent des éclaircissants issus de colle de poisson. Peu s’en passent, même en bio. » À 19 ans, il a monté une association végétalienne avec un ami. Aujourd’hui, il est responsable de rayon dans un magasin bio du XIVe arrondissement de Paris. Sur une équipe de seize, six sont végétariens et deux véganes. « J’étends le rayon végane, je convertis mes collègues et mes amis. »
Qui dit végane ne dit pas forcément bio. « Mais, si l’on veut être cohérent, on ne va pas consommer du soja transgénique ou de l’huile de palme. On prend l’habitude de décortiquer les étiquettes et les listes d’ingrédients, et on réalise à quel point on consomme des cochonneries. » Ni végane à 100 % – « notamment pour des questions de moyens ». Kevin s’est supplémenté en vitamine B12 pendant un moment, et a conseillé à d’autres de le faire. « Mais on rencontre des véganes depuis quarante ans qui ne sont pas carencés, alors la supplémentation ne fait pas l’unanimité. » Il envisage d’ouvrir son propre magasin bio.
Carine, 50 ans, Paris
Carine a du mal avec le mouvement végane. « Il véhicule des images et un discours -extrémiste et intégriste » dans lequel elle ne se reconnaît pas. Pour elle, végane, c’est un mode de vie et une philosophie. Sa première préoccupation : la santé et l’environnement. « L’homme fait partie d’un tout, je me respecte et je respecte ce qui m’entoure. » Chez elle, tout est fait maison : « Ce qu’on ingère, ce qu’on se met sur la peau, même le dentifrice. » Ses filles de 23 et 25 ans, « hyper coquettes », fabriquent leurs propres cosmétiques. « On utilise au maximum des produits bruts, issus de l’agriculture biologique et locale, on fait également attention à ne pas se surprotéiner. Le véganisme est très exigeant sur le plan alimentaire. Cela réclame beaucoup de connaissances en anatomie et en nutrition. »
À 50 ans, Carine a entamé une formation de naturopathe. « On devient rarement végane d’un coup mais progressivement, en passant par le végétarisme. » À 25 ans, le scandale de la vache folle l’effraie : dans son milieu professionnel, elle est en contact avec les services douaniers et se trouve témoin d’abus sur les autorisations de commercialisation. Elle décide de ne plus manger de viande, d’abord pour se protéger. Désormais, même la possession d’animaux domestiques la met mal à l’aise : « On traite les vaches avec moins d’égards qu’un chiot qu’on habille en Hermès ? » Elle fait des stages dans des villages comme ceux montés par Pierre Rabhi, développant une forme d’autonomie alimentaire : « On y consomme ce qu’on cultive : la terre me nourrit et je l’entretiens. »
Dur pour cette Parisienne du XVIIe d’envisager des modèles écoviables, mais elle soutient la démarche, tente d’ancrer ses principes et développe l’information. Carine est crudivore, elle mange 40 % cru en hiver, 60 % en été. Elle utilise un cuit-vapeur créé par la bionutritionniste Marion Kaplan, que ses parents lui ont offert dans les années 1990. « Quand mes filles étaient petites, elles étaient quasiment les seules à aimer les légumes à l’école. »
Yaël, 47 ans, Gard
« Les véganes sont proches des mouvements écolos, donc assez méfiants envers les -produits chimiques et peu enclins à se supplémenter », explique Yaël. Elle a quand même opté pour un apport en vitamine B12, qu’elle et ses enfants prennent en comprimés. « Les carences en B12 peuvent entraîner des complications dont on prend conscience tard. On ne devient pas végane pour mettre sa santé en danger. » Pour elle, végane, ce n’est pas une religion : « La semaine prochaine, c’est l’anniversaire de mon compagnon. Autour de notre petite ville, dans le Gard, il n’y a pas de restaurant végane, nous irons donc dans un végétarien car, même s’il y a des produits laitiers dans les plats, l’impact me paraît moins grand que de se priver d’un moment festif ! » Ses enfants sont véganes « de fait » parce qu’elle-même cuisine végane. « Ils sont grands et bien portants, aucun médecin ne s’est jamais inquiété. Je ne fais pas de tableaux nutritionnels. Ce qui compte, c’est de varier et d’équilibrer les apports sur la journée et sur la semaine, comme dans n’importe quel mode d’alimentation. » Le plus difficile, pour la famille, c’est de trouver des produits près de chez elle.
Yaël ne se définit pas d’emblée comme végane, mais c’est un objectif dont elle se rapproche : il y a une dizaine d’années, lors d’un long voyage en bateau, elle s’est aperçue qu’elle pouvait parfaitement se passer de viande et de produits laitiers. En rentrant en France, elle s’est renseignée et a visité des élevages : « Les éleveurs respectueux des animaux, ça existe, mais, dès qu’on est confronté à des objectifs de rentabilité, on entre dans un système d’exploitation de l’animal. » Y compris des poules, puisque les poussins mâles sont broyés… « 99 % de notre agriculture, c’est de l’intensif. Et même dans le bio on retire les petits à leur mère et on met à mort. »
Toutefois, avant le sort des animaux, c’est la prise de conscience de la surface de terres cultivables et du volume d’eau consacrés à l’élevage qui l’ont interpellée. Puis une campagne de « stop-gavage ». « Mais c’est facile de se passer d’un produit comme le foie gras, qu’on consomme deux fois par an. J’ai décidé d’arrêter tous les aliments provenant des animaux, par souci de cohérence. Ça n’est pas un choix émotionnel, mais moral. » Pour l’expliquer à ses enfants, qui mangent de la viande à l’extérieur (et parfois à la maison quand ils en ont très envie), Yaël s’est appuyée sur un dessin animé, The Meatrix, qui donne une autre vision de la ferme que celle des traditionnels albums jeunesse.
Yaël n’a pas de diplôme de diététique et ne passe pas sa vie sur Internet, mais elle s’est beaucoup documentée. « Je me suis même infligé les vidéos de L214. » Citant aussi le journaliste Aymeric Caron [^1] : « L’anti-spécisme, c’est étendre son champ de considération morale aux autres espèces. » Dans un premier temps, elle n’a pas assumé son végétalisme auprès de son entourage : « Ou alors juste pour dire qu’il s’agissait d’un choix personnel… Sauf que défendre les intérêts d’un groupe opprimé est un devoir moral et qu’il est faux de dire que chacun fait ce qu’il veut. Être féministe, antiraciste, écologiste ou antispéciste, cela relève de choix politiques, qui concernent tout le monde. »
[^1] Auteur de Réconcilier l’humain, l’animal, la nature, éd. Don Quichotte.