Quatre insoumis en quête de hauteur

Alors que la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon a dévoilé sa stratégie pour les législatives de 2017, Politis dresse le portrait de quatre candidats à la députation.

Pauline Graulle  • 23 novembre 2016 abonné·es
Quatre insoumis en quête de hauteur
© Photo : Rémy GABALDA/AFP

Il n’y a pas que la présidentielle dans la vie… Il y a les législatives aussi ! Et le mouvement de Jean-Luc Mélenchon compte bien peser de tout son poids dans ce scrutin, en juin prochain : « C’est la même campagne que nous mènerons à l’élection présidentielle et aux législatives », a averti Manuel Bompard, le directeur de campagne, lors de la première convention de la France insoumise, qui s’est tenue à Lille les 15 et 16 octobre.

C’est que la bataille pour la présidentielle cache un autre enjeu : celui du leadership à gauche. Jean-Luc Mélenchon le sait, l’explosion programmée du Parti socialiste et le naufrage de la social-démocratie au niveau européen – si ce n’est mondial – lui offrent aujourd’hui une opportunité historique de prendre la tête de l’opposition.

Pour y parvenir, deux prérequis sont nécessaires : une large assise politique et des financements. En accédant en nombre aux bancs de l’Assemblée nationale, les représentants de la France insoumise permettraient à ce mouvement naissant de devenir incontournable. Les financements, eux, seront au rendez-vous même en cas de défaite, chaque électeur du scrutin législatif rapportant au parti pour lequel il a voté 1,68 euro d’argent public par an [^1].

L’échéance est donc de la plus haute importance pour Jean-Luc Mélenchon, qui a annoncé que la France insoumise, avec un peu plus de 10 000 militants actifs et 150 000 soutiens déclarés, désignerait 577 candidats (un par circonscription) avant Noël.

En attendant, reste une inconnue de taille : les communistes se présenteront-ils sous leurs propres couleurs ou accepteront-ils de se ranger derrière le label « France insoumise » ? Une partie de la réponse sera donnée ce week-end, avec le vote des militants de la place du Colonel-Fabien sur les conditions de leur ralliement (ou non) à la candidature de Jean-Luc Mélenchon.

D’ores et déjà, vingt candidats, triés sur le volet, ont été présentés au grand public par l’équipe de Jean-Luc Mélenchon. Politis a interrogé quatre d’entre eux. Tous ont en commun de faire de la politique au sens large – soutenir les migrants, lancer l’alerte sur ce que l’on trouve dans nos assiettes, défendre les laissés-pour-compte du capitalisme… Ils partagent aussi un dégoût prononcé pour la politique « politicienne », celle du vide idéologique et des petits arrangements entre partis. Avec son projet de la France insoumise, qu’il pourrait transformer en « vrai » parti à l’automne 2017, Jean-Luc Mélenchon leur a redonné l’espoir qu’une autre politique est possible. Les décevoir une nouvelle fois serait impardonnable.

Christian Vélot : Scientifique insoumis

Lanceur d’alerte sur les OGM agricoles et ami de José Bové. Christian Vélot avait le bon CV pour aller chez les Verts. Mais non : c’est avec la France insoumise qu’il a décidé de faire campagne. Tout commence au lendemain du 21 avril 2002. Christian Vélot s’engage au PS, à Massy (Essonne), où il rejoint l’aile gauche, animée par un certain Jean-Luc Mélenchon. Au bout de deux ans, devant l’impossibilité de « changer les choses de l’intérieur », et découragé par « l’indécrottable vision productiviste et anti-écolo du PS », il claque la porte. « Au moment du référendum de 2005 et de la présidentielle de 2007, j’ai eu l’espoir fou que toutes les vraies gauches et les écolos se retrouvent, et puis ça a capoté, pour des raisons d’ego et d’appareils. »

© Politis

Onze ans plus tard, la France insoumise, espère-t-il, offre une seconde (et dernière) chance d’y arriver. « Mélenchon a fait sa mue écolo, il a de l’expérience et il est grande gueule » – ça aide. « La France insoumise est un melting-pot générationnel, ethnique, social, où tout se construit par consultations de la base, s’enthousiasme Christian Vélot. Je n’ai jamais vu un programme aussi cohérent. » Seul hic : « Pour l’instant, le ralliement d’autres acteurs politiques, en particulier des Verts, n’a pas eu lieu. »

Manque notamment : « José, l’insoumis par excellence ». Avec le faucheur volontaire, ils partagent le même combat – et les ennuis qui en découlent. Généticien moléculaire à l’université Paris-Sud, Christian Vélot est l’un des premiers scientifiques français à s’être élevés contre l’utilisation des OGM dans le monde agricole. C’était il y a quinze ans. Les médias embrayent, le chercheur passe de 5 à 60 conférences annuelles sur le sujet. L’une d’entre elles sert même de support à l’intergroupe OGM du Grenelle de -l’environnement. Une réussite ? Pas pour le CNRS, auquel est affilié son labo de rattachement, qui ne cessera dès lors de lui chercher des poux dans la tête, jusqu’à l’exclusion.

Une pétition plus tard (50 000 signataires, universitaires et grand public), le chercheur a fini par trouver un arrangement avec son université pour continuer à travailler à peu près normalement. Morale de l’histoire ? Il faut à tout prix éviter le « formatage » des étudiants en science. Et militer pour une recherche la plus indépendante possible : « Quand on critique les OGM, c’est aussi le système de la recherche-business qu’on remet en cause. »

Élu en 2010 au conseil régional d’Île-de-France sur une liste verte (mais sans être encarté), Christian Vélot renoue avec les affres de la vie politique. L’alliance des écolos avec les socialistes l’empêche de voter comme il l’entend. Le dégoût reprend le dessus. « J’en étais à un stade où je ne pouvais même plus écouter des émissions politiques à la radio, j’étais devenu allergique ! »

Aujourd’hui, la France insoumise lui a redonné l’envie d’y croire, même s’il n’est pas certain toutefois d’aller jusqu’à être candidat à la députation, comme le lui a proposé l’équipe de Jean-Luc Mélenchon.

Karine Monségu : La foi dans la politique

Il y a les surdoués en musique ou en peinture, Karine Monségu était une enfant précoce pour le militantisme. « Je voulais être religieuse, mon modèle, c’était Jésus, le plus grand des communistes. » À 14 ans, la pré-ado, père algérien et mère française, donne des cours de soutien scolaire aux enfants d’immigrés à côté de chez elle. À 16 ans, elle part à Lourdes s’occuper des personnes handicapées. À 18, elle vient en aide aux usagers de drogues, après un détour par les chiffonniers du Caire avec Sœur Emmanuelle… À 20 ans, au lieu de profiter du « swinging London », où elle s’est installée, la jeune fille au pair se prend de passion pour la cause des SDF : « Je les ramenais à la maison, j’envoyais des lettres à la reine d’Angleterre et à John Major, dans lesquelles je piquais de très grandes colères. J’ai reçu des réponses négatives mais courtoises ! »

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À 22 ans, c’est le grand voyage. Direction Calcutta et mère Teresa. Quatre mois sous la houlette inflexible de « Mother ». Le matin, Karine Monségu est au mouroir ; l’après-midi, prof dans la « Gandhi School » d’un bidonville. Parallèlement, elle enseigne le français aux bourgeois indiens de l’Alliance française. « Un jour, je les ai amenés dans mon mouroir pour qu’ils voient. Pour qu’il y ait des convergences entre ces deux mondes. »

Retour en France, aux examens universitaires, à la vie « normale ». Ce qui n’exclut pas quelques aventures militantes – par exemple, entrer à Gaza après avoir planqué de l’argent dans son soutien-gorge, pendant la première Intifada…

Jeune mère, Karine Monségu tombe par hasard sur un ancien copain dans le quartier de la Bastille, à Paris. Elle cherche un boulot : ça tombe bien, il lui fait savoir qu’il y en a chez Air France. Le 20 janvier 1993, elle entre au terminal D. L’hôtesse au sol, censée enregistrer les bagages au rythme du tambour, écope du petit nom de « mère Teresa des comptoirs » pour ses échanges un peu longuets avec la clientèle. Elle est licenciée au bout d’un an pour insubordination. La CGT la fait réintégrer en CDI. Karine -Monségu, qui ne fait décidément rien à moitié, est élue six mois plus tard secrétaire générale de la CGT Roissy, prend sa carte au PCF dans la foulée, et devient alors « une religieuse du Parti communiste ». Ce sont des années intenses où elle complète son engagement « humaniste » par des apprentissages pointus sur la lutte des classes. En 2007, elle quitte le PCF. C’est qu’entre Robert Hue, le socialo-compatible, et la pasionaria de la politique qui se dit « prête à mourir pour ses idées », il y a comme un monde. Elle y reviendra ensuite pour faire la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2012 – « J’étais en transe aux meetings. »

Aujourd’hui encartée au Parti de gauche, Karine Monségu trouve toujours que « Jean-Luc » est un excellent « outil » pour faire avancer la cause. Le candidat la surnomme « la sainte ». Elle le tient en grande estime. Et lui pardonne volontiers ses années au PS et son engagement pour -Maastricht, mais elle l’a prévenu : « Si tu nous trahis toi aussi, ça va mal se passer. »

Karine Monségu n’en revient toujours pas de l’attitude de Manuel Valls, qui a traité ses camarades de « voyous » lors de l’épisode de la chemise arrachée à Air France. « Le jugement qui a suivi a été vraiment un procès de classe », souffle-t-elle. Elle-même est d’ailleurs sous le coup de plusieurs actions en justice. L’agitatrice a été condamnée il y a deux semaines par la compagnie Emirates pour avoir diffusé des tracts.

Celle qui finit ses mails par « bises insoumises » est aussi derrière la naissance (« pas du tout spontanée ») de Nuit debout, où elle a vu éclore une nouvelle génération militante. Ça lui a remonté le moral : « J’ai l’impression que les jeunes, il n’y a que leur iPhone qui les intéresse », dit-elle en riant. De toute façon, les moments difficiles, ça ne lui fait pas peur, à Karine Monségu. Elle pense souvent à cette phrase que « Mother » lui répétait à Calcutta : « Tout ce qui n’est pas donné est perdu. » Manière de dire qu’il ne faut jamais renoncer.

Lionel Burriello : Prolétaire au combat

Demandez à Lionel Burriello pourquoi il milite, il vous parlera de sa grand-mère portugaise : « Elle était très catholique, c’est d’elle que je tiens cette envie de me coucher le soir en me disant : “Aujourd’hui, j’ai fait quelque chose de bien pour quelqu’un.” » Et, pour réaliser le vœu de son aïeule, Lionel Burriello, 39 ans, ne s’économise pas. Devenu syndicaliste après douze années passées à travailler sur les hauts-fourneaux d’ArcelorMittal à Florange, il se retrouve en première ligne lors du conflit de 2012 contre le milliardaire indien. Deux ans et demi durant lesquels il livre la plus rude bataille de sa vie. Un engagement total, « très concret, le truc qui vous fait sentir utile ».

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Depuis, il est un peu accro. À la politique, la vraie. Celle qui « crée des convergences pour créer du rapport de force », pas celle qui divise artificiellement à partir de fausses idéologies prémâchées. « J’ai une sensibilité de gauche, mais je n’aime pas les partis. Alors, quand la France insoumise a été lancée, je me suis senti à l’aise pour y aller. Dans ce mouvement, il n’y a pas les cadres d’un côté et la base de l’autre. La politique n’est pas un fonds de commerce. » S’il veut devenir député, c’est donc moins par ambition professionnelle que pour le symbole : succéder à Ambroise Croizat, dernier ouvrier parlementaire sous la IVe République.

En attendant, il faut penser à la présidentielle. D’ores et déjà, l’insoumis de -Thionville a été épaté par la convention de Lille, où des militants tirés au sort ont défini les dix priorités du programme. « On reproche à Mélenchon d’être omniprésent, mais c’est une fausse image, il écoute énormément. Il y a une vraie horizontalité dans le mouvement. »

Une façon de faire de la politique que Lionel Buriello essaye de mettre en pratique au sein du petit groupe d’une vingtaine d’insoumis, bien souvent néophytes en politique, qui habitent la vallée de la Fensch. À chacun ses compétences : collage ou tractage pour les plus timides. Lionel, lui, adore « faire les marchés, pour le contact humain, pour montrer que quelqu’un d’honnête peut faire de la politique ».

« Moi, je veux être populiste, mais dans le bon sens, ajoute-t-il. C’est la seule stratégie pour essayer de battre le FN. » Un mal qu’il côtoie de près dans cette vallée meurtrie par la fermeture d’ArcelorMittal (1 800 emplois supprimés) et qui a vu Fabien Engelmann, ancien CGTiste, devenir le maire frontiste d’Hayange en 2014. « Parfois, les gens se trompent d’adversaire. Alors mon boulot, c’est de rappeler qu’Engelmann est devenu un hyper-cumulard, un vrai notable de la politique. »

À ses concitoyens, Lionel Burriello essaye aussi de parler transition écologique. Pas évident dans cette région de France à forte tradition industrielle. « Le projet Ulcos, qui avait été mis sur la table pour produire de l’acier propre, représentait un grand espoir, mais les politiques ont fini par l’abandonner sous la pression oligarchique de Mittal. » Tout ce qu’il ne veut plus voir arriver à l’avenir.

Claire Dujardin : Avocate militante

L’action, pas le blabla. Claire Dujardin aime la politique qui fait vraiment changer les choses : « Avant de m’engager aux côtés de Jean-Luc Mélenchon, je n’avais jamais adhéré à aucun organe politique, explique cette fille d’encartés PS. Les rares réunions politiques auxquelles j’ai assisté m’ont donné l’image d’un truc excluant, qui tourne en rond. » Elle, elle a choisi la ligne droite. Étudiante en droit, elle devient -bénévole au Gisti puis enchaîne les permanences juridiques pour les demandeurs d’asile à la Maison du monde, à Évry (91), où elle habite. Après un détour par -l’Amérique du Sud pour y conduire une étude sur les droits de l’homme, la jeune diplômée du barreau déménage à Toulouse – « l’ambiance parisienne ne me convenait pas » – et se lance dans la bataille.

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Sa bataille ? Le droit des étrangers. « En France, personne ne veut voir l’urgence dans laquelle sont ces hommes et ces femmes. Pourtant, les défendre au même titre que les autres citoyens, c’est l’honneur d’une démocratie. » L’honneur aussi des avocats de ces oubliés, mal payés et mal considérés dans le milieu. Au mitan des années Sarkozy, Claire Dujardin diversifie ses activités. Aide les parents d’élèves de sa ville à porter l’affaire des « bases élèves » en justice. Le bouche-à-oreille fonctionne. En août 2014, elle est saisie par les opposants au barrage de Sivens, « au départ pour les défendre contre leur expulsion de la ZAD ».

Mais l’histoire tourne mal. Rémi Fraisse est tué par une grenade offensive des gendarmes. Claire devient l’avocate de sa famille. Celle d’Elsa Moulin aussi, mutilée par une grenade de désencerclement jetée dans sa caravane. Une aventure législative et humaine commence – qui dure encore. Des jours et des jours d’un travail acharné qui lui apporteront « une vision plus claire du problème des violences policières » et une bonne connaissance de la désobéissance civile. « Ce fut passionnant de mettre en place une défense collective. Dans ces cas-là, on n’est pas une avocate derrière son bureau, on est dans la construction du droit. » Avec toutes les impasses et les lenteurs que cela suppose.

« Avocate militante, certainement pas avocate héroïque. » Ainsi se définit cette jeune quadra, présidente de la section toulousaine du Syndicat des avocats de France, qui milite pour une justice de proximité, accessible à tous, et qui a pour credo de « porter le droit en dehors du prétoire ». C’est dans ce même souci de justice que, bien après la « désillusion » Jospin, elle finit par raccrocher les wagons de la politique « politicienne » en rejoignant le Parti de gauche, puis la France insoumise. Évidemment, la « verve » de Jean-Luc -Mélenchon, qu’elle voit pour la première fois en vrai place du Capitole, un soir du printemps 2012, n’y est pas pour rien : « Il sait très bien transmettre l’idée que oui, ensemble, on peut changer les choses. »

L’an dernier, sa candidature aux départementales à Toulouse, menée tambour battant avec son binôme Nouvelle Donne, lui a donné le goût de la campagne électorale, « à condition qu’elle ne soit pas une course d’ego ». Les régionales, où le parti de gauche finit par se ranger derrière la tête de pont socialiste au second tour, sont un moins bon souvenir. Aujourd’hui, elle a accepté d’être candidate aux législatives. Elle garde en mémoire les images des députés de Podemos entrant en 2016 à l’Assemblée nationale espagnole avec bébé dans les bras et dreadlocks sur la tête. Une certaine vision de la politique.

[^1] Si tant est qu’il dépasse 1 % des suffrages exprimés dans cinquante circonscriptions.

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