Sylvain Cypel : « Le vote du mâle blanc en colère »

Longtemps correspondant du Monde à New York, Sylvain Cypel* réagit à la surprenante victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle.

Denis Sieffert  et  Chloé Dubois (collectif Focus)  • 9 novembre 2016 abonné·es
Sylvain Cypel : « Le vote du mâle blanc en colère »
© Photo : Mandel NGAN / AFP

Quelle place a pris la peur de la mutation ethnique dans ce vote, et comment comprendre cette victoire ?

Chez ceux qui ont voté Trump, cette peur de la mutation ethnique est considérable. Le candidat républicain a d’ailleurs été capable d’élargir l’électorat traditionnel de son parti en attirant des personnes avides de changements, sans toutefois savoir lesquels. Malgré ça, le cœur de l’électorat de Trump reste le mâle blanc en colère.

Et il faut dire qu’Hillary Clinton s’est révélée être une candidate effroyable, incapable de réunir son camp. Concernant les votants, il semble, d’après les éléments dont nous disposons, que les Hispaniques ont majoritairement voté démocrates et dans les mêmes proportions que pour Barack Obama. En revanche, les Noirs américains et les femmes se sont moins mobilisés. Mais les grands abstentionnistes, ce sont surtout les jeunes : entre vingt et trente ans, ils ont voté en masse pour Bernie Sanders et ont visiblement refusé de se rendre aux urnes pour choisir entre Clinton et Trump.

Et concernant la traditionnelle fracture géographique, est-elle toujours aussi évidente ?

Oui et non. Très clairement, Trump a réussi à conquérir les vieux bastions démocrates des « cols bleus » en prenant la Pennsylvanie, le Michigan ou l’Ohio. Ces deux derniers États étant les berceaux de la sidérurgie et de la métallurgie américaine.

Comment peut-on imaginer le mandat de Trump ?

Les évolutions démographiques américaines ne vont pas changer, et Trump n’arrivera pas, ni à empêcher les immigrants d’arriver, ni à empêcher les jeunes immigrés d’avoir plus d’enfants que les Américains blancs. Donc les gens qui ont voté Trump vont se confronter aux mêmes problèmes qui les rendaient fous sous l’administration Obama, c’est-à-dire la perte progressive de leur domination.

La vraie question est de savoir si Donald Trump est capable de réindustrialiser partiellement les États-Unis. Quand Trump disait vouloir « restituer la grandeur de l’Amérique ». En fait, le message subliminal était de « restituer la grandeur de l’Amérique blanche et industrielle ». C’est-à-dire la période dorée où la classe des cols bleus-blancs dominait, des années 40 aux années 70-80. Et de là, toute la fabrication des biens de consommation. Rappelons qu’au sortir de la seconde guerre mondiale, les Américains fabriquaient la moitié des produits de consommation au monde. Obama a essayé d’ajuster et d’industrialiser le pays. Mais très insuffisamment.

Aujourd’hui, les moyens que Donald Trump souhaite mettre en œuvre nécessitent un bouleversement des relations économiques internationales.

Il prévoit effectivement une taxation importante des importations, une guerre commerciale contre la Chine…

Absolument. Mais pas seulement. Il souhaite aussi une guerre commerciale contre les industriels américains et tout ceux qui, aujourd’hui, continuent de prêcher pour l’ouverture des frontières.

Et c’est peut-être sur ce point qu’il peut y avoir une ligne de fracture avec le Parti républicain ?

Précisément. Au sein des républicains, cohabitent deux composantes. Bush, qui a voté blanc, représente les intérêts des pétroliers texans. Évidemment, ils sont très favorables à l’immigration [garantissant une main d’œuvre à bas prix, NDLR]. Je ne peux pas dire qui est Trump à titre personnel, mais je pense que les gens qui ont voté pour lui ne sont pas issus de cette composante qui milite en faveur du marché libre. Il a réussi à amener au sein de son camp des personnes convaincues par ces explications sur Hillary Clinton qui serait l’incarnation des intérêts de Goldman Sachs.

Et concernant la politique étrangère, il semblerait que Trump soit sur une ligne non-interventionniste. Pensez-vous que cela soit possible, dans la mesure où Obama, qui espérait ne plus être « le gendarme du monde », a tout de même été convoqué par l’histoire du Moyen-Orient ?

Je crois que Trump, comme Obama, va être contraint par deux forces. D’abord par les autres acteurs internationaux. À l’origine, le rêve d’Obama était de se préoccuper uniquement de l’Amérique latine et éventuellement de l’Afrique, pour oublier cette pétaudière du Moyen-Orient. Mais dans la réalité, on ne peut pas mettre cette région du monde de côté.

De la même manière, je pense que Trump sera rattrapé par le système politico-militaire américain qui est extraordinairement puissant. Alors, si Trump veut effectivement appliquer une politique non-interventionniste, il va falloir qu’il trouve le moyen de contrer les intérêts de ce lobby.

L’enquête sur les mails envoyés par Hillary Clinton révélée par le FBI a-t-elle pu jouer ?

Probablement… Mais la victoire est claire. La manière dont il a remporté la Pennsylvanie ou la Floride, c’est vraiment impressionnant. Je ne pense pas que cette affaire ait eu une influence essentielle, mais évidemment, c’est incroyable que le patron du FBI parle de cette enquête à quelques jours de l’élection, avant de dire qu’il n’y avait rien. C’est sidérant.

Monde
Publié dans le dossier
Trump : À qui la faute ?
Temps de lecture : 4 minutes

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