Trump : un libéralisme de clocher

Le modèle économique défendu par Donald Trump, mêlant repli nationaliste et interventionnisme à la sauce libérale, n’est pas sans rappeler les années 1930.

Erwan Manac'h  • 16 novembre 2016 abonné·es
Trump : un libéralisme de clocher
© Photo : SPENCER PLATT/GETTY IMAGES/AFP

Donald Trump doit certes son élection à l’aversion d’une partie des Américains pour la mondialisation : il a réussi à incarner une alternative au statu quo néolibéral en y opposant chauvinisme, xénophobie et repli sur la sphère nationale. Mais, en dépit de son discours virulent contre Wall Street, Donald Trump reste au fond un ultralibéral. Le milliardaire incarne en somme une sorte de « national-libéralisme » qui nous ramène au capitalisme des pionniers, défendu par les conservateurs américains de la fin du XIXe siècle.

« Le Parti républicain archaïque, qui a dominé la vie politique états-unienne de la fin de la guerre de Sécession, en 1865, jusqu’à la crise de 1929, a construit la “grandeur” des États-Unis en restant hors du jeu économique mondial », écrit Romaric Godin dans LaTribune. L’élection de Donald Trump constitue une rupture historique, au moins dans les discours, avec trente ans de -néolibéralisme, durant lesquels l’explosion de la finance était conjuguée à une forte mondialisation. « Il existe une droite conservatrice qui défend certes le capitalisme et la propriété privée, mais se réinvente dans un monde post-néolibéral », note l’économiste Cédric Durand.

Premier ingrédient du « trumpisme » : le protectionnisme. Le milliardaire veut accélérer un mouvement, déjà visible, de ralentissement de la mondialisation, avec une politique de « patriotisme économique ». Il entend taxer les produits chinois et mexicains (à 45 % et 35 %) et renégocier les accords de libre-échange. Parallèlement, il défend une politique fiscale agressive pour attirer les richesses sur le sol américain, avec un impôt ramené à 15 % sur les bénéfices des sociétés (contre 35 % aujourd’hui), voire 10 % pour l’argent rapatrié des paradis fiscaux. Un niveau proche de celui de l’Irlande. « Il faut se rendre compte du choc que cela représenterait. C’est une fuite en avant vers un dumping fiscal agressif », observe Thomas Piketty [^1]. Quoi qu’il advienne des promesses du candidat Trump, sa victoire renforce donc les partisans du repli identitaire et de la course effrénée au moins-disant social.

Le second ingrédient est une rupture avec l’austérité budgétaire. Balayant le dogme de la dette d’un revers de la main, Donald Trump préconise 4 400 milliards de dollars de baisse d’impôt sur dix ans et une politique de relance à l’ancienne, fondée sur les grands travaux et une augmentation des dépenses militaires. « De ce point de vue, il me fait penser à ces candidats des années 1930, interventionnistes et prompts à soutenir l’activité par la relance publique, mais à des fins politiques sinistres », soupire Michaël Assous, économiste à l’université Paris-I. Il cède également à une tentation de plus en plus présente dans le monde – bien qu’encore minoritaire au sein du Parti républicain américain – de rompre avec les politiques d’austérité, qui s’avèrent aussi destructrices qu’inefficaces.

Gardons-nous en revanche de conclusions binaires. Le cocktail protectionnisme-relance par l’investissement, dans lequel beaucoup d’économistes de gauche pourraient se retrouver, est adossé chez Donald Trump à une idéologie très libérale. La couverture maladie imposée difficilement par les démocrates, l’Obama-care, doit être largement détricotée, et le nouveau président prépare un « choc fiscal » qui bénéficiera surtout aux plus riches (baisse de l’impôt sur les hauts revenus, suppression de l’impôt sur les successions et de la taxe foncière). Le « fondamentalisme de marché » reste donc l’épine dorsale de son programme, ce qui le rapproche davantage d’une extrême droite comme celle qu’incarnait Jean-Marie Le Pen, conjuguant fermeture des frontières et libéralisme forcené.

La brutalité de ces propositions et l’inconstance du personnage font par ailleurs craindre à de nombreux économistes un choc historique à l’échelle planétaire. « Il existe un grand danger d’érosion du statut international du dollar, à cause de la folie de ce gouvernement, notamment s’il provoque une crise avec la banque centrale américaine et qu’il lance une guerre commerciale avec la Chine. Tout cela risque de rompre la “pax americana” en brisant la position centrale des États-Unis comme garantie de l’ordre libéral mondial », s’inquiète Robert Guttmann, économiste à Paris-XIII et à l’Hofstra University de New York.

Donald Trump aura-t-il le crédit et la volonté suffisants pour opérer ce tournant ? Difficile de le prédire tant ses prises de proposition sont contradictoires et fantaisistes. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la finance. Trump a d’abord promis de « ne pas laisser Wall Street sortir acquitté de ses crimes ». Puis, à mesure qu’affluaient les financements et les conseillers venus du monde de la finance, il a policé son discours. La Bourse de New York a d’ailleurs accueilli son élection avec un record historique en fin de semaine dernière. Il faut dire que le milliardaire entend supprimer le Dodd-Frank Act, ensemble de règles encadrant la finance, adoptées en juillet 2010 en (maigre) réponse à la crise des subprimes. « Ce serait un retour en arrière d’une dangerosité extrême pour la stabilité du secteur bancaire et financier américain et au-delà, vu la contagiosité en la matière », s’inquiète Jézabel Couppey–Soubeyran, économiste à Paris-I.

Donald Trump est donc avant tout incontrôlable et inconstant. Son entourage et le Parti républicain, ultraconservateurs et encore attachés à une ligne néolibérale mondialiste, joueront donc un rôle clé.

[^1] France Inter, 12 novembre.

Monde
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Trump : À qui la faute ?
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