Turquie : Perpétuité pour Asli Erdogan ?
Près de trois mois après son arrestation, la romancière Asli Erdogan est menacée par le parquet d’une réclusion à perpétuité.
dans l’hebdo N° 1428 Acheter ce numéro
Sans crainte de paraître pour ce qu’ils sont, les procureurs de la République turque peuvent désormais requérir le silence sans que résonne le fracas d’une indignation collective. Et ils le prouvent. Près de trois mois après son arrestation pour avoir collaboré avec le journal d’opposition Özgür Gündem, la romancière Asli Erdogan est menacée par le parquet d’une réclusion à perpétuité.
Arrêtée à la suite de la fermeture de ce quotidien pro-kurde, l’auteure est accusée, aux côtés de huit autres collaborateurs, d’appartenir au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Militante des droits de l’homme, Asli Erdogan est également accusée de propagande en faveur de cette organisation, considérée comme terroriste, et d’avoir mis en danger « l’unité de l’État et l’intégrité territoriale du pays ».
Des chefs d’inculpation sensiblement similaires sont portés contre tous ceux qui, à l’instar des journalistes, des universitaires ou des élus politiques, ont fait entendre leurs désaccords à l’égard de la politique menée par le président Recep Tayyip Erdogan… non sans avoir à en subir les conséquences.
Envoyé au tribunal, l’acte d’accusation préliminaire doit désormais être approuvé ou rejeté dans les quinze prochains jours. Évoquant davantage une sentence portée contre la liberté d’expression qu’une réelle décision de justice, la peine requise a le mérite de mettre les choses au clair pour ceux qui n’auraient pas compris le message : oui, en Turquie, l’opinion est un délit. D’où l’indiscutable inquiétude concernant le jugement à venir.
Mais, depuis les geôles d’Istanbul, la romancière n’a pas cessé d’écrire. Il y a dix jours à peine, elle lançait un « appel d’urgence » du fond de sa cellule, appelant l’Europe à prendre ses responsabilités après l’interpellation de douze journalistes et collaborateurs du quotidien Cumhuriyet. Cette énième rafle entravant la liberté d’expression dans le pays s’ajoute à la fermeture de 170 autres médias et à l’arrestation de 130 journalistes. Nul doute que la condamnation au silence qui menace la militante ne sera pas moins sévère à l’égard de ceux qui dénoncent une démocratie à l’agonie.
De son côté, l’Union européenne tarde à prendre la mesure de ces événements, au risque de se complaire dans une timidité complice. Reporter pour Les Jours, Olivier Bertrand a également été arrêté vendredi à Gaziantep, près de la frontière syrienne, avant d’être libéré dimanche. Reste à savoir si cette tentative d’intimidation est isolée ou si elle n’est qu’un premier avertissement destiné aux journalistes étrangers refusant de se taire.