Bolloré vs Bastamag : un procès en appel sous haute tension

Débouté en première instance de sa plainte en diffamation contre Bastamag et des blogueurs, Vincent Bolloré a fait appel. C’est dans une ambiance tendue que s’est déroulée l’audience, jeudi 1er décembre.

Mathieu Ait Lachkar  • 2 décembre 2016 abonné·es
Bolloré vs Bastamag : un procès en appel sous haute tension
© Vincent Bolloré, le 30 mai 2016 à Paris. ERIC PIERMONT / AFP.

Nombreux sont venus soutenir l’équipe de Bastamag poursuivi en appel par le groupe Bolloré pour diffamation. Le contentieux ? Un article sur l’accaparement des terres par l’industriel en Afrique et en Asie, publié sur le site en 2012. Du soutien, ils vont en avoir besoin. Car ce jeudi 1er décembre, c’est un Me Baratelli, avocat de Bolloré S.A, remonté qui plaide. Même si selon Agnès Rousseau, co-rédactrice en chef de Bastamag, il s’est montré plus clément qu’en première instance.

« Qu’est-ce que vous cherchez ? Vous faites de l’intimidation ! »

Nadia Djabali, auteure de l’article mis en cause et journaliste pigiste à Bastamag, est la première à passer sur le grill. L’avocat de la partie civile commence à lui poser des questions pour évaluer le sérieux de l’enquête, qui avait primé lors du dernier procès en avril. La journaliste se justifie : « Vincent Bolloré faisait partie d’un ensemble d’entreprises françaises qui investissent dans les terres agricoles en Afrique et en Asie. » Parmi lesquelles : la société Louis Dreyfus, ainsi que le Crédit Agricole, cités dans l’article. Plus on avance, plus les questions se font précises et plus l’agacement est de taille. Nadia Djabali finit même par lancer sur un ton énervé : « Mais c’est un Trivial Poursuit ? Qu’est-ce que vous cherchez ? Vous faites de l’intimidation ! »

Arrive ensuite Julien Lusson, directeur de publication à l’époque, et Agnès Rousseau. Le premier souligne que si l’article cite plusieurs sociétés, seul le groupe Bolloré a attaqué. « Maintenant, on se retient presque de traiter de ces sujets », peste-t-il. Des propos corroborés par Agnès Rousseau qui évoque de son côté les poursuites du groupe Bolloré contre d’autres médias, en particulier contre France Télévisions et son émission « Complément d’enquête » qui lui était consacrée. « On peut s’estimer presque chanceux puisque Bolloré a attaqué France Télévisions devant le tribunal de commerce, et au Cameroun », plaisante la journaliste. « C’est quand même une sorte d’acharnement. »

Me Baratelli en profite lui pour donner sa vision de Vincent Bolloré : « C’est un mec bien, il ne ferait jamais ça, il ne vole pas ! » Avant d’ajouter avec arrogance qu’« il ne détient aucun hectare d’exploitation en Asie ou en Afrique ». Une autre manière de dire que les accusations visant la holding luxembourgeoise Socfin (impliquée d’après Bastamag dans l’expropriation des paysans), que le groupe possède à hauteur de 38%, ne concerneraient pas l’homme d’affaires.

Le cas des blogueurs

D’autres sites étaient également poursuivis dans le cadre de cette plainte pour avoir cité l’article de Bastamag : le site Rue 89 et son directeur de publication, Pierre Haski, la journaliste Dominique Martin Ferrari (« scoop it »), ainsi que Thierry Lamirau et Laurent Ménard, respectivement enseignant à la retraite et salarié. Ce dernier explique que l’article a été reproduit sans qu’il le sache sur le blog d’une association dont il était président. Blog qui a reçu « sept clics » durant les cinq mois de mise en ligne du texte. L’instituteur retraité, lui, dit qu’il a voulu s’expliquer, qu’il a appelé « la tour Bolloré ». « Mais on ne lui a évidemment pas passé Vincent Bolloré », lance son avocate, parlant de « pot de terre contre pot de fer ».

Me Baratelli s’est montré plutôt compréhensif les concernant. Bien moins lorsqu’il s’agit de Dominique Martin Ferrari, qui en sa qualité de journaliste, n’aurait pas dû partager cet article que l’avocat définit comme étant un « travail de cochon ».

L’audience se termine avec Me Comte pour Bastamag. Loin de la stratégie de victimisation de son confrère, l’avocat des prévenus démonte un à un les arguments de la partie adverse. Il évoque le sérieux de l’article, qu’il présente comme une « synthèse de documents existants », provenant notamment d’ONG. Il se désole également de la manière dont ont été traitées les personnes ayant relayé le texte.

À sa sortie, il semble peu surpris du comportement adopté par Me Baratelli :

Le groupe Bolloré a deux stratégies : soit on joue sur les recettes publicitaires comme il l’avait fait avec Havas pour le journal Le Monde, ou alors, dans le cas de Bastamag [qui est un média sans publicités, NDLR], on joue sur la longueur des procédures.

Si ce jusqu’au-boutisme inquiète les journalistes sur le sujet tabou qu’est devenu Bolloré, ils ressortent néanmoins la tête haute. Nadia Djabali se félicite : « J’ai fait mon boulot comme il se doit. »

Décision le 9 février.

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