Cette présidentielle qui n’en finit pas…

Les primaires étendent la durée de la campagne et suscitent des débats. Elles attirent des téléspectateurs et des électeurs. Mais la démocratie y gagne-t-elle vraiment ?

Michel Soudais  • 21 décembre 2016 abonné·es
Cette présidentielle qui n’en finit pas…
© Photo: SEBASTIEN BOZON/AFP

En 2016, la primaire s’est imposée dans les vieux partis comme un passage obligé pour la désignation des candidats à l’élection présidentielle. Rétive il y a cinq ans, la droite s’y est convertie avec un certain succès puisque les électeurs se sont déplacés nombreux (4,4 millions) pour participer à ses deux tours de sélection. Le PS, qui a enregistré sept candidatures le 17 décembre, se contenterait de deux millions de votants pour choisir son champion les 22 et 29 janvier.

Samedi 17 décembre, à la Mutualité, à Paris, l’avocat Thomas Clay, président de la Haute Autorité de la primaire (HAP), dévoile le nombre et le nom des candidats autorisés à participer à la primaire organisée par le PS et ses satellites. Deux jours auparavant, le même indiquait avoir enregistré « neuf candidatures sérieuses ». Après examen de leurs dossiers de candidature et le rejet de celles des socialistes Gérard Filoche et Fabien Verdier pour défaut de parrainages, sept sont éligibles. Quatre anciens ministres membres du PS, Benoît Hamon, Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Manuel Valls, et trois -présidents de formations alliées, Sylvia Pinel, ancienne ministre (Parti radical de gauche), Jean-Luc Bennahmias (Front démocrate) et François de Rugy (Parti écologiste).

Avant d’égrener sa liste, Thomas Clay indiquait avoir « eu à faire face à un nombre très important de candidatures ». « Vingt-quatre candidatures sont arrivées à la Haute Autorité », confia-t-il en se réjouissant que cette affluence « souligne le très grand intérêt pour cette primaire […], une véritable passion. » Quand, en début d’année, les candidatures se multipliaient à droite, Jean-Christophe Cambadélis n’y voyait ni intérêt ni passion. « C’est une équipe de foot, ce n’est plus une primaire », ironisait le patron du PS. « N’importe quelle personnalité pense qu’elle peut être président de la République ! », notait-il en diagnostiquant dans « cet émiettement le symptôme de quelque chose qui va mal dans notre système politique ».

Désormais installée dans le paysage politique, la primaire signe la faiblesse des partis traditionnels, incapables de dégager des candidats naturels. Incontesté dans sa famille politique, Nicolas Sarkozy n’aurait pas été contraint de se soumettre à cette sélection et de subir l’humiliation d’une élimination en huitième de finale de la course à l’Élysée. Populaire dans son camp, François Hollande n’aurait pas été forcé d’accepter que le PS en organise une, avant d’être obligé de renoncer à sa candidature. La primaire étend la durée de la campagne présidentielle ; elle suscite des débats qui attirent des millions de téléspectateurs. Est-elle pour autant l’instrument du renouveau démocratique que vantent ses initiateurs ? Ou reproduit-elle, en les aggravant, les défauts de l’élection majeure de la Ve République ?

En comptabilisant l’ensemble des candidats putatifs qui, à un moment ou à un autre, ont fait acte de candidature pour 2017, avec le soutien ou non d’un parti, dans une primaire ou non, Le Journal du dimanche a pu dresser récemment une liste d’un peu plus de 80 personnes. Les primaires, en -organisant une sélection, ont au moins le mérite de mettre (un peu) d’ordre dans cette course folle à la notoriété. Bien des candidats ne se déclarent que pour attirer sur eux, sur leur formation ou la cause qu’ils défendent, l’attention des médias.

Depuis sa première édition en 1965, où Marcel Barbu a inauguré le genre, la présidentielle a toujours attiré des candidatures fantaisistes. Les primaires n’y échappent pas. Jean-Frédéric Poisson, le président du Parti chrétien démocrate, a profité des trois débats télévisés de la primaire de la droite pour sortir de l’anonymat. Jean-François Copé se satisfait également de ses 0,3 % : « Tout le monde me disait mort ! Pour moi, c’est la première étape d’une résurrection »,confie-t-il au Figaro (16 décembre) L’obligation instituée en 1976 de présenter 500 parrainages d’élus (parlementaires, maires, conseillers départementaux ou régionaux), bien qu’imparfaite, se révèle de ce point de vue plus efficace. Neuf à douze candidats se présentent à chaque présidentielle depuis 1981, le scrutin de 2002, avec 16 candidats, faisant figure d’exception.

L’avantage des primaires, mis en avant par ses promoteurs, serait de permettre aux citoyens de faire émerger des offres politiques nouvelles. Cela ne s’est pour l’heure pas vérifié. Si François Fillon n’était pas le candidat attendu, son projet thatchérien de guerre sociale ne brille pas par sa nouveauté. Du reste, à l’exception de Jean-Frédéric Poisson, les candidats à la primaire de la droite avaient déjà tous gouverné, soit comme président de la République, soit comme Premier ministre ou ministre. En revanche, cette primaire a accentué jusqu’à la caricature un des aspects détestables du scrutin présidentiel et de tout scrutin majoritaire à deux tours où, suivant l’adage, « au premier tour on choisit, au second on élimine ». En participant à une primaire qui ne leur était pas destinée, des électeurs de gauche ne sont pas venus choisir mais éliminer : Sarkozy au premier tour avec succès, Fillon au second, en vain.

Quelle adhésion peut-on attendre d’un scrutin qui tourne à la foire d’empoigne ? « Une primaire pousse les candidats à dire du mal des autres et encore davantage les candidats les moins connus à taper sur les plus connus pour, notamment, que leur nom figure dans le journal », déplorait Cécile Duflot en juillet, dans un courrier interne adressé aux adhérents d’EELV, où elle expliquait ses réticences à se soumettre à une primaire. Le trait était un peu exagéré. Mais même quand les candidats ne franchissent pas la ligne jaune, l’effet de leur compétition conforte bien des électeurs dans l’idée que l’étalage de leurs divergences n’est qu’un jeu de dupes, puisqu’au terme de ces échanges plus ou moins musclés, ils verront les adversaires les plus rudes se rabibocher, se ranger derrière le vainqueur, et même faire campagne ensemble. À quoi bon voter si, comme ce fut le cas en 2011, le candidat qui suscite le moins d’adhésion, en l’occurrence Manuel Valls (5,7 %), est ensuite appelé à Matignon pour appliquer l’essentiel des idées que les électeurs ont rejeté à travers sa candidature ?

La primaire accentue un autre effet pervers de la présidentielle. « Pour exister médiatiquement dans ce match, chaque candidat est poussé à se distinguer chaque jour de manière plus spectaculaire. Il en résulte un monstrueux concours Lépine des propositions les plus anti-sociales, autoritaires et xénophobes », notait Alexis Corbière dans son essai, Le Piège des primaires (Le Cerf), paru en septembre. Le porte-parole de Jean-Luc Mélenchon observait alors les débuts de la primaire de la droite. Le même phénomène s’observe dans la primaire du PS, où l’on voit le candidat Manuel désavouer le Premier ministre Valls et proposer, à la surprise générale, de « supprimer purement et simplement le 49-3, hors texte budgétaire ». Buzz garanti. Pour la crédibilité, c’est une autre histoire.

Le même Manuel Valls s’en est pris dimanche sur un marché de Paris au « cynisme » de François Fillon, qu’il accuse de « changer de programme » entre la primaire de la droite et l’élection présidentielle. Le candidat de la droite à la présidentielle venait d’enclencher la marche arrière sur son projet de réforme de la Sécurité sociale, retirant de son site Internet une mesure contestée jusque dans son propre camp. « Ça, ce n’est pas honnête », a fait valoir Manuel Valls. Ce n’est pas faux. Mais pourquoi ne pas l’avoir relevé quand François Hollande, élu sur la promesse de renégocier le traité budgétaire européen, l’a abandonnée en entrant à l’Élysée, avant de renoncer à beaucoup d’autres de ses engagements ? Auparavant, un candidat atténuait son programme entre le premier et le second tour de la présidentielle pour rassembler au-delà de son camp. Désormais, le vainqueur d’une primaire doit réajuster son programme entre celle-ci et le premier tour, et à l’issue de celui-ci s’il le passe avec succès.

L’attaque de Manuel Valls contre François Fillon met également le doigt sur ce qui est sans doute le principal effet pervers des primaires. Sous le masque d’une illusion de progrès démocratique, elles confient comme la présidentielle des pouvoirs exorbitants à un seul homme, lequel dispose du privilège unique de renier ses promesses et de choisir seul ses alliés. Le PS ne s’y est pas trompé qui, dans le même temps où il s’engageait dans la voie des primaires, a décidé de renoncer à élaborer un projet pour 2017. Ce qui est une manière de s’en remettre à la volonté du vainqueur de la primaire qu’il organise. Et de renforcer la nature monarchique de la Ve République, pourtant rejetée par de plus en plus de citoyens.