Jeunes : Un peu tièdes sur le réchauffement
Les jeunes se disent conscients de la crise écologique. Mais ses conséquences, peu palpables et hors d’atteinte de leurs capacités d’action, ne sont pas au premier rang de leurs préoccupations.
dans l’hebdo N° 1433-1434 Acheter ce numéro
Leurs parents vivaient avec la menace sourde d’une guerre nucléaire. En 2016, c’est la crise écologique qui pèse sur la survie de la planète. Ce sombre présage encombre-t-il la vision de l’avenir des jeunes ? On guette en vain un soupçon de tétanie… « Il y a peut-être de l’inconscience et de l’égoïsme, mais ça ne me perturbe pas plus que ça », affirme paisiblement Fiona. De la préoccupation, certes, d’angoisse, point.
« On a conscience d’être la dernière génération à ne pas se manger les big problèmes, reconnaît Till, mais ce n’est pas une raison pour se laisser bouffer par la peur. » Les conséquences, « pour moi, c’est très secondaire, loin dans le temps et l’espace, réplique Sahar. On ne voit pas le péril. » Les îles menacées de submersion, c’est dans le Pacifique ; mais l’extinction accélérée des espèces ? Pierre doute un peu. « Il en apparaît aussi de nouvelles, non ? » Le dérèglement climatique : « Flou, insidieux, peu visible, décrit Thomas. Notre premier souci _: se débrouiller avec 5 euros par jour._ »
Ils sont originaires de Normandie, de -Belgique, des Landes, d’Île-de-France, de l’Aube, de la Région parisienne, du Cantal, de Lozère. Ils sont lycéens (classe de seconde et terminale « agronomie et science du vivant »), post-bac (préparation aux écoles d’arts appliqués, droit de l’environnement, ingénierie mécanique, fac de biologie pour devenir sage-femme, océanologue) ou viennent tout juste d’entrer dans la vie active. Francs du collier, pas insouciants, tranquillement pragmatiques. « Va falloir s’y habituer, convient Emma, mais je ne suis pas pessimiste. » Si Charlotte s’attend « à la cata », elle se rassure : « On s’en sortira sûrement, j’ai confiance. »
Question de tempérament pour Raoul aussi. Fort de son diplôme d’ingénieur en mécanique « écoconception » et passionné de bricolage, il considère la gravité de la situation comme un stimulant de la créativité pour aller vers l’autonomie verte – « cultiver ses légumes, recycler son eau, produire son énergie ».
Enseignant thésard à Jussieu et spécialisé dans les pollutions urbaines, Raphaël Fauches n’a pas le sentiment que les problèmes écologiques soient centraux pour ses étudiants. « Mais ils sont plus informés qu’avant », et souvent davantage que les adultes. « La géographie au collège, ce n’est que du développement durable », souligne Charlotte, qui passe pour l’enquiquineuse de la maison à râler quand les lumières restent allumées. « Mes parents semblent penser que les écolos exagèrent. »
Cependant, la crise écologique est complexe, rappelle Raphaël Fauches, qui constate que la compréhension de ses implications n’intervient pas avant le seuil du master.
D’origine tunisienne, Anissa a choisi la voie du droit environnemental international, sensibilisée par un père nostalgique de son village de Tabarka, « bijou de corail » avant la souillure par la pollution et les sacs plastique. « Mes études m’ont laissé penser qu’on allait “y arriver”. Mais l’analyse des sommets climatiques m’a surtout montré qu’on était au pied du mur et que ça ne changeait toujours pas ! L’homme est-il autodestructeur ? »
Ils sont au courant pour la bagnole, les énergies renouvelables, l’air pollué des villes, la surconsommation, l’eau, les toilettes sèches, l’élevage intensif ou la condition animale. Quasi végane, Candice est savante sur les questions d’alimentation. On l’écoute : la petite troupe de ses copains de lycée se passionne aussi pour le contenu de l’assiette à la cantine. « Trop de viande ! On ne mange plus de légumes », déplore Anton. Et quid de la qualité, avec une agriculture dopée aux pesticides ? Raphaël Fauches l’a constaté dans son cercle de relations : la ringardisation de l’écolo – « nécessairement bobo » – est en recul. « Quand on parle santé, cancer, ça rigole beaucoup moins, c’est même devenu un jeu d’enfant de convaincre. »
Mais quoi faire ? Pas de foudre déclenchée sur de fautives générations précédentes : les jeunes se veulent responsables et prêts à agir. Tom fustige sa propre flemme devant les robinets qu’il laisse ouverts. Candice ne supporte pas ces gens « aux placards pleins de fringues inutilisées ». Jamais de McDo pour Emma : « Quand je vois comment ça se passe dans les abattoirs ! » Elle bondit sur les négligents « qui jettent leur ticket de métro ou leur paquet de clopes par terre ». Pas très riche, Till fait pourtant « gaffe à tout » – consommation, produits locaux, énergie. Mais la distance entre leurs « petits gestes » et l’immensité de la tâche planétaire les accable un peu. « On sait qu’on ne peut pas faire grand-chose à notre niveau », déplore Yoni. Et puis le hic, ce sont « les autres » : d’accord pour des comportements vertueux, « mais pas tout seul… Faudrait supprimer l’individualisme ! », ose Thomas.
Le fatalisme des uns déclenche instantanément la riposte des volontaristes. « En tant qu’individu, je ne peux rien faire, admet Anton. Mais la multiplication des actions au quotidien peut changer les choses. » Et si les gouvernements et la société se mettaient enfin en branle ? Vivre sobrement, ils y sont a priori favorables – « Si ça a une utilité globale et dans une démarche collective », précise Sahar. Anton et Candice se disent prêts à aller « jusqu’au bout », mais nul candidat au sacrifice. « Eh, j’ai besoin d’Internet, de chauffage, se récrie Charlotte. En revanche, je veux bien partager. » Et la responsabilité de faire naître des enfants dans un monde à l’avenir incertain, on y pense à 20 ans ? « Y renoncer ? Mais je ne me pose même pas la question ! Jamais de la vie, même pas en rêve ! », bondit soudain Alice, qui avait laissé parler les copains jusque-là.