Le legs de Hollande à Valls
Le chef de l’État, qui a renoncé à se présenter, laisse derrière lui un Parti socialiste en piteux état. Son devenir est le principal enjeu d’une primaire limitée aux socialistes et à leurs satellites.
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Pour lui, c’est comme si c’était fait. Après l’annonce par François Hollande de sa « décision de ne pas être candidat à la présidence de la République », Manuel Valls avait le champ libre. Il n’a pas fait durer le suspense bien longtemps. Au lendemain de la déclaration présidentielle, ses proches justifiaient qu’il ne se porte pas immédiatement candidat par respect d’un « délai de décence ». « Il n’y a pas le feu, expliquait encore samedi le député vallsiste Philippe Doucet, en marge de la convention de la Belle Alliance populaire (BAP). Il vaut mieux prendre son temps et ne pas faire de faute. » Quatre jours auront suffi pour la décence et la réflexion. L’ambitieux s’y prépare depuis si longtemps… Interrogé lors d’un déjeuner à l’été 2013 par un convive sur ses ambitions présidentielles pour 2017, le ministre de l’Intérieur qu’il était encore aurait lâché, bravache : « Je suis prêt. » Si Hollande ne se représente pas ? « C’est une idée que je caresse », avait-il confié le 10 novembre 2015 à l’un des auteurs de Conversations privées avec le Président [^1].
Lundi, dans la salle des mariages de la mairie d’Évry, Manuel Valls n’a donc pas tourné autour du pot. « Oui, je suis candidat à la présidence de la République », a-t-il lancé dès le début de son discours devant un public métissé. Sans mentionner la primaire du PS et de ses satellites. Comme si ce passage obligé, auquel il a tenté de s’opposer jugeant que le Président sortant était le candidat naturel, n’était qu’une formalité. Qu’après le forfait de François Hollande, il était, lui, le candidat légitime. Certes, en quelques mois, Manuel Valls a su habilement barrer la route à François Hollande, à peine plus impopulaire que lui. Il est aussi parvenu lundi, avec un art parfaitement maîtrisé de la communication, à donner des accents de gauche à sa candidature, au point de la présenter comme « celle de la conciliation » et de « la réconciliation », prenant le contre-pied de l’attitude clivante et brutale qui l’a toujours caractérisé. Mais il est encore loin d’avoir gagné la partie dans son propre camp.
Très minoritaire au sein du PS avant d’entrer au gouvernement – il a obtenu 5,6 % à la primaire de 2011 –, Manuel Valls n’est entouré que d’une petite équipe de fidèles. Pour emporter la primaire 2017, il a besoin pour occuper l’espace entre lui et Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Marie-Noëlle Lienemann ou Gérard Filoche, du soutien des courants de la majorité du PS, singulièrement ceux des hollandistes et des aubryistes, assez réticents.
Une alliance ni belle ni populaire
La « grande convention nationale » de la Belle Alliance populaire (BAP), organisée samedi dernier à Paris, devait initialement servir de rampe de lancement à la candidature de François Hollande. Une scène grandiose et un décor aussi soigné que coloré… Les organisateurs, dont Jean-Christophe Cambadélis, avaient vu grand. En septembre, le patron du PS imaginait rassembler quelque 10 000 personnes. À peine plus de 2 000 spectateurs, assez âgés, ont écouté trois heures durant les intervenants triés sur le volet, notamment les ministres Estelle Grelier, Marisol Touraine, Najat Vallaud-Belkacem, Jean-Vincent Placé et Emmanuelle Cosse, vanter le bilan du gouvernement, rendre hommage au chef de l’État, et taper sur le programme « réactionnaire » de François Fillon. Parmi les candidats déclarés à la primaire de la BAP, seuls Jean-Luc Bennahmias (Union des démocrates et des écologistes) et François de Rugy (Parti écologiste) étaient présents. Leurs micro-partis sont les seuls partenaires non socialistes de cette alliance qui reste, à ce stade, une coquille vide. Le petit mouvement de Robert Hue a refusé d’en être dès le départ. Le PRG et Génération écologie, qui y participaient, ont depuis claqué la porte.
Martine Aubry, interrogée peu avant l’annonce de Manuel Valls, a indiqué, elle aussi, ne pas savoir qui elle soutiendrait. Aux journalistes qui lui demandaient s’il pouvait « créer les conditions du rassemblement », la maire de Lille a répondu : « Je ne crois pas. » « Je n’ai jamais cru en une gauche irréconciliable », a-t-elle rappelé, visant les propos définitifs tenus l’an dernier par celui qu’elle avait sommé en 2009 de quitter le PS ou de taire ses critiques incessantes : « Pour moi, il n’y a pas deux gauches ou alors, s’il y a deux gauches, c’est qu’il y en a une qui est devenue de droite. » Une conviction partagée par Jean-Marc Ayrault, qui, hasard du calendrier, était à ses côtés à Lille. Le ministre des Affaires étrangères, débarqué de Matignon au printemps 2014 sous la pression conjointe de Manuel Valls, d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, accuse à mots couverts son successeur de renoncer aux valeurs de la gauche.
Les hollandistes et les aubryistes seront d’autant plus vigilants, que, en l’absence de François Hollande, celui qui gagnera la primaire, même s’il a peu de chance d’être élu en mai, emportera le parti ou ce qui le remplacera. Car, en se retirant, le chef de l’État laisse en héritage un PS exsangue – les adhérents à jour de cotisation seraient moins de 50 000 –, sans leader, sans projet ni stratégie. Le 6 février, le conseil national du PS renonçait officiellement « à se disputer pour élaborer un programme », et confiait à Guillaume Bachelay, numéro deux du parti et plume du futur projet de… François Hollande, la coordination de « Cahiers de la présidentielle » destinés à fixer « les enjeux de l’action future » mais élaborés sans vote des militants.
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Ce travail, achevé fin novembre, se contente de proposer « 20 défis », le candidat qui sera désigné étant assez libre d’y répondre comme il l’entend.
Il y a un an quasiment jour pour jour, le chef de l’État envisageait froidement la dissolution de son parti. « Il faut un acte de liquidation. Il faut un hara-kiri », expliquait-il à Gérard Davet et Fabrice Lhomme [^2]. Son idée ? Recomposer sa famille politique en fondant le PS dans une formation plus grande, moins tributaire des alliances dont EELV et le PCF ne veulent plus, où pourraient venir « des gens qui n’ont jamais fait de politique partisane, des gens du centre… ». Le 15 décembre 2015, en bon soldat, Jean-Christophe Cambadélis traçait le projet d’une « grande alliance populaire » pour « dépasser » le PS. Manuel Valls, qui rêve depuis 2008 d’« en finir avec le vieux socialisme », est pour. La gauche du PS contre. C’est sous l’égide de ce rassemblement croupion de « progressistes », baptisé Belle Alliance populaire (BAP) à son lancement le 13 avril (voir encadré), qu’est organisée la « primaire citoyenne ».
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Le calendrier de cette dernière, calé sur les souhaits d’un Président qu’elle devait relégitimer, est très serré. Les candidatures, possibles jusqu’au 15 décembre, seront validées par la Haute Autorité de la primaire le 17 décembre – les socialistes devant produire un certain nombre de parrainages. La campagne commence officiellement le lendemain, dernier dimanche avant Noël, quand les Français ne pensent plus qu’aux fêtes de fin d’année. À la fin de la trêve des confiseurs, le 2 janvier, il restera un peu moins de trois semaines de campagne avant le premier tour de scrutin, fixé le 22 janvier.
Vu les enjeux, l’affrontement promet d’être d’autant plus rude qu’il sera bref. « Avec le Président, le débat aurait été plus rond. Là, ça va être moins feutré. On va entendre les impacts sur le bord de la touche », pronostique Benoît Hamon. « La primaire du PS, ce n’est rien d’autre qu’un congrès […] avec des querelles de clans », estime Emmanuel Macron, en accord sur ce point avec Jean-Luc Mélenchon.
[^1] Conversations privées avec le Président, Antonin André et Karim Rissouli, Albin Michel.
[^2] Un Président ne devrait pas dire ça…, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Stock.