Le livre d’Esther

La sénatrice écologiste Esther Benbassa nous propose la chronique d’une année douloureuse.

Denis Sieffert  • 7 décembre 2016 abonné·es
Le livre d’Esther
© Daniel Bar-On/AFP

On connaît cette énergie indomptable qu’elle balade dans les couloirs du Sénat, et cet accent oriental qu’elle tient de sa prime jeunesse à Istanbul — « ma négritude », dit-elle joliment — et qui l’annonce de loin. Rien ne prédestinait Esther Benbassa à être un jour sénatrice. Ce qu’elle est pourtant depuis 2011, sous l’étiquette Europe Écologie-Les Verts. Mais à sa façon, toujours un peu en colère, toujours un peu rigolarde. Une sénatrice tellement atypique, passionnément impliquée dans le mouvement associatif, aux côtés des Roms, des prostitués, des LGTB, des sans-papiers et des gosses des banlieues. D’où lui vient cette passion des causes difficiles et des identités multiples ? Le journal de bord que publie Esther Benbassa nous le dit par petites touches. Écrit au jour le jour sur un peu moins d’une année, bordé par deux événements tragiques qui ont bouleversé notre pays, les attentats parisiens du 13 novembre 2015 et celui de Nice, le 14 juillet dernier, ce texte foisonnant est un voyage.

Turque jusqu’à l’âge de 10 ans, israélienne les douze années suivantes puis française à partir de 1972, Esther Benbassa, historienne de profession et de cœur, aime aussi à voyager dans le temps. Si bien que les événements de ces huit mois ne cessent de résonner en elle, renvoyant à des souvenirs d’ailleurs, vécus ou transmis dans les livres ou les récits familiaux. L’histoire coule en permanence dans ses veines de femme juive séfarade. D’où d’amples va-et-vient qui débordent de beaucoup le calendrier d’une année. Les attentats réveillent des souvenirs de guerre d’Irak de 1991, vécue depuis Tel-Aviv, qui eux-mêmes raniment des images de camps et d’exode. Un putsch à Istanbul en rappelle un autre. Le livre d’Esther Benbassa est fait de toutes ces résonances.

Mais c’est aussi une radiographie du monde politique confronté au chaos des attentats, et trop souvent démagogue et grégaire. Prise entre ce que lui dicte sa conscience et les pressions qui ne tarderaient pas à faire d’elle un « traître à la patrie », Esther Benbassa choisit sa conscience et refuse de voter la prorogation de l’État d’urgence. Ils étaient peu nombreux. Elle s’inquiète de ce trop-plein de lois tout juste destinées à plaire à l’opinion publique. Elle vilipende le Premier ministre, qui ne veut pas comprendre parce que « comprendre, c’est excuser ». Elle interroge les réactions des sociétés face aux attentats, refuse les essentialismes qui ont tôt fait de virer au racisme : « On ne naît pas terroriste », dit-elle. Elle ne renonce ni au vivre-ensemble ni aux droits des Palestiniens, quand beaucoup aimeraient lui transmettre leurs réflexes pavloviens. Elle cite Julia Kristeva analysant la « maladie d’idéalité » d’une partie de notre jeunesse. On avait ouvert un journal de bord, on referme une autobiographie venue d’ailleurs, et même de plusieurs ailleurs, et une forte réflexion sur notre époque.­ 

Vendredi noir et nuits blanches, Esther Benbassa, JC Lattès, 325 p., 18 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

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