Le travail n’en peut plus
Les gains de productivité n’ont cessé de ralentir depuis les années 1970.
dans l’hebdo N° 1431 Acheter ce numéro
Sous l’influence des marchés boursiers, l’accélération des flux financiers et des innovations technologiques ont provoqué partout dans le monde l’intensification des rythmes du travail. La liquidité du capital lui permet en effet de mettre en concurrence directe et instantanée des entreprises et des collectifs de travail. La menace du retrait des capitaux permet d’imposer partout réductions d’effectifs, sous-traitance, polyvalence, « lean management » (recherche de la performance)… Ainsi, dans l’Union européenne, la dernière enquête sur les conditions de travail, publiée il y a un mois [^1], confirme l’intensification du travail depuis vingt ans.
Selon l’orthodoxie économique, cette intensification du travail, en synergie avec la révolution numérique, devrait sortir le capitalisme de la stagnation. Profits flamboyants, plateformes numériques, économie collaborative, « Internet des objets »… les évangélistes de la révolution numérique nous annoncent une fantastique accélération de la productivité qui apportera la croissance et la prospérité, alors qu’elle pourrait détruire des millions d’emplois qualifiés dans les années à venir.
Pourtant, il pourrait bien s’agir d’un miroir aux alouettes. En 1987, au début de la révolution numérique, l’économiste américain Robert Solow s’étonnait déjà de ce qu’« on voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de la productivité ». « Attendez un peu, les effets arrivent », lui répondaient les optimistes. Trente ans plus tard, le constat est sans appel : dans les pays riches, hormis un bref sursaut aux États-Unis entre 1996 et 2000, les gains de productivité n’ont cessé de ralentir depuis les années 1970, ils dépassent désormais péniblement 1 % par an en moyenne.
Ce blocage n’est sans doute pas temporaire. Car s’il épuise les travailleurs, ce régime d’accumulation fondé sur l’innovation numérique et l’intensification du travail semble lui-même bien fatigué : stagnation prolongée, crises financières récurrentes, inégalités sociales et précarité en hausse… Certes, la finance continue à exiger, et même à obtenir, des rendements annuels extravagants, de l’ordre de 15 % par an (la performance moyenne des actions cotées à Wall Street entre 2011 et 2015). Mais c’est bien plus en lien avec la politique de création monétaire des banques centrales, qui ont sauvé le système financier depuis 2008 en y déversant des sommes colossales, que grâce au dynamisme de l’investissement productif.
L’accélération de l’intensité du travail – tout comme celle de l’exploitation de la nature –, loin de provoquer un rebond économique, risque plutôt d’aggraver les difficultés. Les politiques d’austérité contraignent la demande finale, la stagnation des salaires et la baisse des investissements publics nourrissent l’économie d’endettement permanent, la planète finance est toujours aussi instable, le système ne parvient pas à réduire les coûts écologiques des énergies fossiles et du consumérisme… Décidément, on ne sortira pas de cette spirale sans repenser complètement l’organisation et les finalités du travail.
[^1] www.eurofound.europa.eu/fr/publications
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.