Pays basque : l’État arrête des pacifistes pour masquer son impuissance

Au point mort depuis cinq ans, la résolution du conflit basque bute sur les conditions du désarmement de l’ETA. Lors d’une « opération antiterroriste » menée par les forces de police françaises et espagnoles, cinq personnalités de la société civile ont été interpellées alors qu’elles avaient l’intention de neutraliser une partie de l’arsenal militaire.

Jean Sébastien Mora  • 18 décembre 2016 abonné·es
Pays basque : l’État arrête des pacifistes pour masquer son impuissance
Conférence de presse à Bayonne (17-12-2016) dénonçant une opération politicienne de l'État au Pays basque. À partir de la gauche : Kotte Ecenarro (maire de Hendaye, PS), Collette Capdevielle (eurodéputée PS), Sylviane Alaux (députée PS), Jean-René Etchegaray (maire de Bayonne, UDI), Max Brisson (conseiller municipal de Biarritz, Les Républicains), Michel Veunac (maire de Biarritz, Modem), Alain Iriart (maire de Saint-Pierre d'Irube nationaliste basque modéré).
© IROZ GAIZKA/AFP

Il ne s’agit pas d’une question politique : telle est la position officielle du gouvernement sur le conflit basque. Vendredi 16 décembre au soir, une vaste opération a conduit à l’interpellation de cinq « individus en relation avec l’organisation terroriste basque ETA » dans une maison isolée de Louhossoa, un village du Piémont pyrénéen. La DGSI, la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Bayonne et l’unité d’élite du RAID, assistés de la Guardia civil espagnole se sont emparés d’un important arsenal (armes, explosifs et munitions). Une opération présentée comme « un nouveau coup dur porté à l’ETA » par le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux.

Des militants paysans, altermondialistes et écologistes

Pourtant, dans un communiqué inédit cosigné par Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), deux des personnes interpellées vendredi avaient déjà annoncé par voie de presse, courant octobre, leur intention de neutraliser les armes d’ETA. Il est clair aussi que « les personnes qui ont été arrêtées hier ne sont pas d’ETA, elles participaient à un processus de démilitarisation », analyse Jean Pierre Massias, universitaire en droit constitutionnel et expert auprès du Conseil de l’Europe. Figures locales de la reconnaissance de la langue basque, du syndicalisme agricole et du mouvement écologiste, les militants arrêtés sont en effet connus pour leur opposition historique et publique à la stratégie de lutte armée de l’ETA (1){: name= »sdfootnote1anc » target= »_blank » }.

© Politis

Parmi ces personnes, on compte Jean-Noël Etcheverry, dit « Txetx », leader altermondialiste et écologiste, membre d’ATTAC et cofondateur d’Alternatiba, le mouvement climatique national créé avant la COP21 de Paris ; Michel Berhocoirigoin, fondateur de la Chambre d’agriculture alternative basque et ancien membre du bureau de la Confédération paysanne ; Michel Bergougnan, militant d’Iparretarak dans les années 1980, viticulteur. Lors de l’intervention policière, ils étaient accompagnés de deux journalistes professionnels, Béatrice Molle-Haran pour Mediabask, propriétaire de la maison où a eu lieu la perquisition et de Stéphane Etchegaray, vidéaste indépendant. Les premières images de cette perquisition révèlent la présence de perceuses sur colonnes destinées à percer les armes afin de les rendre inopérationnelles. D’après le quotidien en langue basque Berria, ce premier stock d’armes réparti dans dix caisses, représenterait 15 % de l’arsenal d’ETA.

L’État redoutait un happening politico-médiatique

Si des sources policières ont d’abord assuré à l’Agence France-Presse que Michel Tubiana (LDH) faisait partie des personnes interpellées, il n’en est rien. « Je n’ai pas pu m’y rendre. Les policiers savaient tout de l’opération et de notre volonté d’enclencher de manière symbolique le processus de désarmement de l’ETA », a-t-il déclaré.

Pour le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux, « personne n’a le droit de se proclamer destructeur d’armes et éventuellement de preuves ». Cependant, à l’évidence, l’État français est intervenu à Louhoussoa pour empêcher une forme d’happening politico-médiatique visant à mettre l’État français devant ses responsabilités.

En effet, depuis 2011,après la déclaration de cessez-le-feu permanent, l’arbitrage du processus de paix par le Groupe international de contact (GIC) et l’intervention de l’ex-secrétaire de l’ONU Kofi Annan, plusieurs tentatives ont été faites pour demander aux autorités françaises et espagnoles de déterminer les conditions matérielles dans lesquelles la totalité de l’arsenal du groupe terroriste devait être livré. Tentatives restées sans suite. « Le processus de résolution du conflit est complètement unilatéral. ETA a déposé les armes et proposé des scénarios qui restent pour l’instant lettre morte de la part des gouvernements », poursuit Jean-Pierre Massias.

© Politis

À la suite de leur arrestation, Txetx et Michel Berhocoirigoin ont reçu le notamment soutien du candidat écologiste à la présidentielle, Yannick Jadot, et de l’économiste altermondialiste Susan George. Appréciées localement, ces figures militantes incarnent cette gauche basque historiquement opposée à la lutte armée, enracinant son action autour de la doctrine « résister c’est créer ».

À Bayonne, les arrestations ont eu l’effet d’un électrochoc et une manifestation spontanée a réuni environ 3 000 personnes ce samedi. « Ce sont des militants non violents engagés pour la paix. Je leur apporte tout mon soutien », a d’ailleurs déclaré la sénatrice socialiste Frédérique Espagnac, pourtant très proche de François Hollande. Dans le cortège, une vingtaine d’élus du Pays basque, notamment les deux députés PS Collette Capdevielle et Sylviane Allaux, ont aussi alerté l’État français sur « le manque d’implication des Etats français et espagnol dans le processus de désarmement ».

Historiquement, en matière de résolution de conflit, il n’existe aucun exemple de dépôts des armes de manière unilatérale, sans accord politique avec la partie adverse : « Nous sommes traités avec mépris depuis cinq ans, conclut, attristé, le maire de Bayonne, Jean-René Etchegaray, nous n’imaginons pas un instant que les membres de l’ETA doivent laisser leurs armes sans dispositif approprié. Et aujourd’hui, tandis que la société civile s’organise pour suppléer la carence des États, les postures sécuritaires ont pris une dimension cynique totalement inacceptable. » Ce dimanche, les cinq militants sont toujours maintenus en garde à vue dans le cadre de la législation anti-terroriste.

photos dans le texte ©Patrick Piro

  • Txetx avec l’eurodéputée Eva Joly à Bayonne (06-10-2013) à l’occasion du lancement du mouvement Alternatiba.

  • Michel Berhocoirigoin à Ainhice-Mongelos (Pays basque, 13-12-2008) à l’occasion d’une campagne de soutien à Laborantza Ganbara, la Chambre d’agriculture alternative basque.

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