Quel cadre pour France insoumise ?
Quand Jean-Luc Mélenchon exige de ses soutiens un ralliement à son mouvement, les militants communistes veulent garder leur identité.
dans l’hebdo N° 1431 Acheter ce numéro
Pas facile de se remarier après avoir divorcé. On sait ce dont on ne veut plus, mais il est encore un peu tôt pour savoir ce que l’on veut… Un an après le constat d’échec du Front de gauche, les anciens alliés du PCF, du Parti de gauche et d’Ensemble ! se retrouvaient samedi dans un petit théâtre de Montreuil (93), à l’initiative des communistes de « Front commun [^1] », pour tenter d’imaginer un nouveau terrain d’entente avec Jean-Luc Mélenchon pour 2017. Ambiance garantie entre les 300 participants et Alexis Corbière, venu en solo porter la parole du candidat, et qui a « servi de sapin de Noël, enguirlandé à souhait ! », a-t-il lâché, pince-sans-rire.
C’est qu’entre France insoumise, le mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon le 10 février dernier, et les anciennes composantes de feu le Front de gauche, rien n’est simple. D’un côté, Jean-Luc Mélenchon exige que ses soutiens rejoignent France insoumise. De l’autre, Ensemble ! et le PCF, s’ils ont fini par accepter de soutenir sa candidature, refusent d’être « fondus » dans le mouvement. Tout le monde s’accorde à dire que Jean-Luc Mélenchon est, pour reprendre l’expression d’une participante, « la meilleure chose qui pouvait arriver à la gauche ». Mais sa posture clivante et certaines propositions de son mouvement font débat.
« On a des désaccords sur [les positions de Jean-Luc Mélenchon concernant la politique de] Poutine ou sur l’immigration, a ainsi estimé l’écologiste de l’aile gauche d’EELV Patrick Farbiaz, c’est pourquoi nous avons besoin d’un cadre d’initiatives commun qui nous permette de le soutenir tout en étant indépendants de sa parole. » « France insoumise est une régression par rapport au Front de gauche, a aussi estimé un militant -d’Ensemble !. Le cartel de partis du premier était insatisfaisant, mais, avec France insoumise, on revient à une forme “parti”. » « On ne veut pas se soumettre à France insoumise », a lancé, dans une formule, un communiste taclant la « méthode Mélenchon », jugée trop « personnelle », « verticale » et pas assez « pluraliste ».
Vertement interpellé, Alexis Corbière a tenté de répondre à ces mécontentements, qu’il a mis sur le compte d’une « incompréhension de ce qu’est le mouvement » : « OK, il y a une centralité dans la prise de décision, et heureusement, mais ça permet d’avancer dans une seule direction, a-t-il plaidé face à une salle circonspecte_. On verra après ce que France insoumise devient, mais_ [pour l’instant, en tout cas]_, ce n’est pas un parti politique qui fait se dissoudre les forces, c’est un cadre large. Pas besoin d’en créer un autre ! »_ Gare, a-t-il ajouté, à ne pas dégoûter les 170 000 sympathisants venus à France insoumise précisément parce qu’elle propose un engagement « hors parti », en s’enlisant dans des querelles d’appareils.
« Il y a des dizaines de milliers de gens, syndicalistes, militants ou juste sympathisants qui ne vont pas vouloir entrer dans France insoumise, alors on leur dit quoi ? Ces gens-là, ils doivent trouver un pont et pas un mur en face d’eux ! », a objecté -Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble !, qui s’est dite favorable à créer « un cadre en plus, mais sans que ça soit une usine à gaz ». « On ne peut pas se contenter de dire aux gens “rejoignez-nous !” », a ajouté la communiste Isabelle Lorand. Frédéric Borras, ex-LCR venu de Toulouse, a, lui, proposé de s’inspirer du foisonnement de la mobilisation contre le traité constitutionnel européen en 2005 : « Des collectifs partout, des partis, des coordinations entre tout ça… »
En toile de fond de la bataille rangée entre le premier cercle mélenchoniste et les soutiens communistes, il y a les élections législatives. Jean-Luc Mélenchon n’a pas exclu de présenter des Insoumis en face des communistes dans certaines circonscriptions. Le PCF pourrait rendre la pareille. Un scénario noir que l’assemblée montreuilloise a néanmoins écarté. « On va avoir deux mois de face-à-face entre France insoumise et le PCF, a estimé Frédérick Genevée, l’un des animateurs communistes de Front commun, mais il ne faut pas paniquer, on va dépasser les obstacles. » Même ton rassurant d’Alexis Corbière : « C’est normal que ça barde un peu dans les réunions, mais on arrivera à se rejoindre dans l’action. »
[^1] Ce collectif de communistes « mélenchon-compatibles » lançait au mois de septembre l’appel « Faisons Front commun [autour de Jean-Luc Mélenchon] en 2017 », signé depuis par 8 000 militants communistes, mais aussi d’Ensemble !, du Parti de gauche ou même des écologistes.