Au resto, plus de gâchis au menu

Fortement impliquée dans le gaspillage alimentaire, la restauration commerciale prend enfin ses responsabilités et inaugure une charte pour la valorisation des déchets.

Jean-Claude Renard  • 5 janvier 2017 abonné·es
Au resto, plus de gâchis au menu
© FRANCOIS GUILLOT/AFP

Un dimanche matin sur le parvis de l’Hôtel-de-Ville à Paris, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation. ­Plusieurs stands attirent une foule de curieux. Derrière un comptoir s’agite une toque blanche. Ils sont une dizaine de chefs parisiens à proposer une dégustation gratuite autour d’un plat. Jean-Marc ­Notelet (Caïus) présente une assiette à base d’artichaut, ­Stéphane Jego (L’Ami Jean) suggère un bouillon de volaille à partir d’une carcasse de poulet, Alessandra Montagne (Tempero) démontre son art d’accommoder les restes avec des raviolis également réalisés à partir de carcasses de poulets, tandis que François Pasteau (L’Épi Dupin) régale avec des flans de poisson. C’est un brunch anti-gaspi. Et pour cause : la part de la restauration dans le gaspillage alimentaire oscille entre 14 et 20 % de la totalité. Loin devant la grande distribution. Avec plus d’un million de tonnes de déchets par an, il était temps de s’en préoccuper.

En préambule à ce brunch dominical, tous les chefs ont signé une charte déclinée en quatre axes, de la fourche à la fourchette. Les cuisiniers s’engagent à privilégier le recours aux circuits courts en choisissant des fournisseurs locaux et des produits de saison, les poissons, crustacés et mollusques non menacés par la surpêche ou issus d’élevages biologiques, les viandes non menacées par l’extinction de leur espèce et les produits labellisés made in France. Ils doivent favoriser les produits sans emballage. Les chefs s’engagent également à former leur personnel, à travailler l’ensemble des produits pour ne rien gaspiller, notamment en adaptant leurs portions ; ils doivent proposer à leur clientèle des boîtes anti-gaspi (le doggy bag) et aux associations les denrées non consommées qui seraient encore consommables. Enfin, ils sont censés mettre en place une collecte séparée des bio-déchets en vue de leur valorisation par méthanisation énergétique ou retour au sol par compostage. Rendez-vous est pris pour faire le point à l’automne prochain.

Pour François Pasteau, cette charte n’est pas qu’un bout de papier que l’on signe. La lutte contre le gaspillage alimentaire, c’est, chez lui, à L’Épi Dupin, dans le VIe arrondissement parisien, une obsession. Ses ­principes sont affichés sur la carte du restaurant : des produits locaux et de saison, des poissons issus de la pêche durable, la récupération des huiles et l’utilisation d’énergie renouvelable. Tout participe de l’anti-gaspi, de la maîtrise de la consommation de l’eau au choix des produits. « Sur la carte, confie-t-il, il s’agit d’interpeller les gens, de sorte qu’il y ait un dialogue entre le client et le restaurant. Nous avons une responsabilité, un devoir et un rôle à jouer. Je suis né dans les années 1960, à une époque où mes parents n’étaient guère au fait du recyclage. En revanche, ils veillaient à ce qu’on finisse nos assiettes. On ne gaspillait pas, on ne jetait pas le pain et on faisait de la cuisine avec les restes de la veille. J’ai été formaté comme ça. »

À L’Épi Dupin, le restaurateur donne aussi au consommateur les clés pour optimiser un produit. Cela a été l’objet de sa démonstration sur le parvis de l’Hôtel-de-Ville, avec 1 500 bouchées de flan de poisson servies. « À son niveau, il doit comprendre que ce n’est pas compliqué. Trois fois par jour, il vote avec son assiette, il vote pour sa santé, son climat et son avenir, tout en se faisant plaisir. Il doit savoir payer le juste prix d’un produit, en respectant le travail d’un producteur, d’un éleveur ou d’un agriculteur pour que celui-ci puisse continuer de faire son métier de façon honnête et responsable. Parce qu’il faut aller arracher des carottes ou passer une journée sur un bateau de pêche pour comprendre combien c’est difficile ! Rien que pour le respect de ces personnes, il ne faut pas gaspiller. »

Si François Pasteau se réjouit de l’enthousiasme des chefs pour la lutte contre le gaspillage alimentaire, illustrée par cette charte, il sait néanmoins que beaucoup d’entre eux prennent le train en marche. Lui a créé il y a plus de dix ans l’association Sea Web, militant pour la pêche durable avec tous les acteurs de la filière, et Bon pour le climat, en 2014, fédérant consommateurs et restaurateurs pour mieux réfléchir à leur assiette, en réduisant leur empreinte carbone, avec plus de végétaux, moins de protéines animales. « Acheter des produits de saison et de proximité, c’est-à-dire avec moins de transport, qui ne connaissent pas le frigo, c’est se garantir des produits de meilleure qualité qu’on peut travailler jusqu’au bout. Ici, en cuisine, avec une parure de poisson ou de viande, on se demande toujours ce qu’on peut en faire avant de la jeter à la poubelle, elle est triée pour être méthanisée ou en faire du compost. »

Présent également au brunch anti-gaspi, Stéphan Martinez, à la tête du Petit Choiseul (Paris IIe), œuvre sur un volet particulier de la lutte contre le gaspillage alimentaire : le bio-déchet. En 2014, créant la société Moulinot, il a mis en place une collecte auprès des restaurants, avec un outil précieux, une poubelle, dans laquelle tombent les épluchures de fruits et légumes, les restes d’une viande ou d’un poisson paré, apprêté. Une poubelle transparente parce qu’on « a vite fait de repérer ce qu’on jette, de mesurer ce qu’on fait », explique-t-il.

En 2016, les restaurateurs ont été obligés de valoriser leurs bio-déchets s’ils en produisent plus de dix tonnes par an (la limite auparavant était fixée à 120 tonnes), sous peine d’une amende de 75 000 euros (à cela près qu’il n’y a pas de contrôle). Le but : transformer les pertes alimentaires en méthane ou en compost. Exercice pas facile quand on sait que le milieu des restaurateurs est peu ouvert aux questions écologiques.

Aujourd’hui, Moulinot compte plus de 300 adresses, en Île-de-France (des restaurants, mais aussi plus de 50 cantines scolaires, 12 lycées, l’hôpital Pompidou et ses 1 800 couverts mensuels). Douze camions ramassent près de 350 tonnes de bio-déchets par mois (certes, pas grand-chose encore au regard des 70 000 tonnes annuelles de déchets organiques des restaurants). Cette collecte a cependant son prix. Près de 300 euros la tonne pour les restaurateurs. Pour François Pasteau, cela représente près de 400 euros par mois. « Par rapport à toute la démarche que j’ai mise en place depuis des années, il serait aberrant de ne pas vouloir optimiser mes déchets. Au restaurant, c’est la seule chose qui me coûte de l’argent ; tout le reste, c’est du temps et de la réflexion. » Du côté restaurateurs, c’est donc une démarche personnelle, responsable.

« Pour nous, reprend Stéphan Martinez, on a toujours, en fin de service, la possibilité de donner deux ou trois baguettes, deux plats du jour ou des produits proches de la date limite de consommation. Mais concrètement, économiquement, matériellement, à de rares exceptions de voisinage, c’est impossible de venir chercher deux baguettes ici et trois autres là-bas. » D’où son engagement sur les bio-déchets, à défaut de faire du don alimentaire, en militant pour obtenir les mêmes avantages que la grande distribution pour les restaurants. En effet, « avec la loi anti-gaspi, poursuit Stéphan Martinez, la grande distribution peut, à travers la défiscalisation, optimiser ses invendus. À partir du moment où les restaurateurs et tous les métiers de bouche entrent dans le projet du tri des bio-déchets, pourquoi ne bénéficieraient-ils pas de la même défiscalisation ? » En attendant, il poursuit sa tournée des popotes dans sa quête de bio-déchets, martelant que « tout ce qui vient de la terre doit revenir à la terre ». C’est aussi cela, la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Société
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