Ces villes qui veulent changer d’ère

Si les politiques nationales traînent, des agglomérations prennent les devants pour réduire la pollution automobile.

Ingrid Merckx  et  Patrick Piro  • 11 janvier 2017 abonné·es
Ces villes qui veulent changer d’ère
© KAZUHIRO NOGI / AFP

Certaines villes ont décidé de tourner la page « pour diminuer les nuisances liées à la circulation routière », souligne l’association Respire. La pollution de l’air n’est pas la seule visée, mais la sécurité routière, les nuisances sonores, le partage de l’espace public ou même la sauvegarde du patrimoine. La France est le quatrième pays européen où l’on se déplace le plus en voiture ou à moto, derrière la République tchèque, la Slovénie et la Lettonie. « La qualité de l’air, un défi européen » était le titre d’un colloque organisé le 4 octobre à Strasbourg avec les participants de l’appel à projets « Villes respirables en cinq ans ».

Strasbourg : le taureau par les cornes

Le 15 avril 2015, 90 médecins de la capitale alsacienne ont lancé une pétition pour appeler les pouvoirs publics à agir contre la pollution atmosphérique. Le 19 mars, Strasbourg avait décroché la palme de la ville la plus polluée de France (voir Politis n° 1354, 21 mai 2015). L’Europole a réagi en répondant à l’appel à projets « Villes respirables en cinq ans », qu’elle a remporté, empochant un million d’euros assortis de l’aide technique de l’État pour mettre en œuvre ses objectifs de réduction de 30 % de sa consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. D’ici à 2020, elle doit réorganiser ses flux avec des zones de circulation restreinte, des plateformes de livraison et des mesures en direction des vélos et véhicules électriques. Elle prévoit un accompagnement des foyers ouverts pour les particuliers, une formation des agriculteurs, des diagnostics pour les industriels. L’Europole s’est aussi engagée à ne plus acquérir de véhicules diesel et à accroître l’information sur la qualité de l’air.

Trop timide pour le collectif « Strasbourg respire », qui réclame l’interdiction des véhicules diesel et des poids lourds, une taxe sur ces derniers et une mise sur rail, un passage de la flotte bus et utilitaires en électrique, une aide au changement de véhicule, des mesures en faveur du covoiturage, le remplacement des voitures d’auto-école, le développement des pistes cyclables, des transports fluviaux et ferroviaires, ainsi que la suppression des avantages fiscaux liés au diesel.

Oslo : paradis de la voiture électrique

Depuis le 1er janvier 2017, les véhicules diesel sont interdits dans le centre d’Oslo. Dans trois ans, ce seront toutes les voitures thermiques, afin de réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre. Cent kilomètres de pistes cyclables en plus, suppression de parkings en surface et péage additionnel, la Norvège, premier État pétrolier d’Europe de l’Ouest, est surtout le paradis de la voiture électrique (VÉ). Une voiture vendue sur cinq y est électrique, contre une sur 200 en France. Tropisme qui ne serait pas écologique, mais économique : la VÉ est 30 % moins chère.

Ce succès résulte d’une politique publique volontariste qui mêle exonération de taxes, stationnement gratuit, bornes de recharge publiques, exemption des frais de péage urbain, et utilisation des couloirs de bus… Ce qui a généré des tensions avec les usagers. Quid de l’impact écologique de la fabrication de la VÉ, laquelle utilise des batteries au lithium et fait tourner les centrales ? La vraie voiture écologique est celle qui n’existe pas, répondent les spécialistes, qui admettent que l’électrique est un moindre mal : elle réduit la dépendance aux hydrocarbures et la concentration de polluants, favorise la transition vers de nouveaux modes de déplacement et améliore la qualité de l’air. En outre, 95 % de l’électricité provient de l’hydraulique en Norvège, pays qui regorge d’énergies propres. La VÉ marque quand même le pas, en raison d’un doute sur la permanence des aides publiques, que certains voudraient voir transférées aux transports collectifs. Sans compter que la VÉ n’a pas fait fondre le trafic.

Tokyo : la police de la pollution sévit

Au cours de la décennie 2000, la concentration en particules PM2,5 a chuté de 55 %, et la norme japonaise concernant l’air ambiant est respectée dans 85 % des stations de mesure. C’est même 100 % pour le NO2 et les particules en suspension. Mais les Tokyoïtes ont leur propre « écran de contrôle » : la silhouette du mont Fuji, qu’ils peuvent admirer plus de cent jours par an, cinq fois plus que dans les années 1960. Dans les années 1990, la concentration en PM atteint des niveaux insupportables. Les particules fines mesurées dans l’air sont issues à 70 % des moteurs diesel. Alors que les autorités affrontent des procès en inaction, Tokyo entre en guerre contre le fléau. En 1999, le gouverneur Shintaro Ishihara lance une campagne incitant à ne pas « conduire, acheter ni vendre » de diesel. En 2003, les autorités édictent une série de mesures ciblant les camions, les bus et les utilitaires. Les plus émetteurs sont bannis du « grand Tokyo ». Les vieux véhicules ont sept ans pour se mettre aux normes. La police de la pollution sévit : les contrevenants risquent 4 000 euros d’amende et… la publication de leur nom. Le gouvernorat soutient la reconversion des flottes d’entreprise, encourage les industriels à produire des carburants moins sales et des pots catalytiques bon marché. L’effort a porté : le gouvernement a durci les normes d’émission et les constructeurs automobiles japonais ont tourné le dos au diesel.

Écologie
Publié dans le dossier
Pollution : Une inertie criminelle
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