Clivage : Légaliser le cannabis ?

Une fois encore, c’est Benoît Hamon qui a réussi à imposer ce thème de campagne dans la primaire.

Pauline Graulle  • 18 janvier 2017 abonnés
Clivage : Légaliser le cannabis ?
© Photo: Lars Hagberg / AFP

Une fois, encore, c’est Benoît Hamon qui a réussi à imposer ce thème de campagne dans la primaire. Comme Nathalie Kosciusko-Morizet l’avait fait lors de la primaire de la droite, le candidat de l’aile gauche du PS explique qu’il veut « sortir de l’hypocrisie » et s’est prononcé pour une légalisation totale du cannabis pour des raisons de santé publique et pour « tarir l’économie souterraine et les violences ».

Anne Coppel

Sociologue « Quarante ans d’hypocrisie, ont dénoncé avec vigueur quatre des sept candidats. L’argumentation commune invoque la santé publique et la sécurité, avec l’échec de la lutte contre le trafic. Il n’a pas été dit que la répression porte à 90 % sur l’usage – du moins Benoît Hamon a-t-il appelé à une pacification dans les quartiers, avec une police de proximité se consacrant à ses missions propres. Autre limite du débat, le silence sur la dangerosité de l’alcool et du tabac, ce qui alimente la peur et la stigmatisation de la drogue. Seul Jean-Luc Bennahmias a rappelé que les usages les plus courants sont récréatifs ou thérapeutiques. Mais une page a bien été tournée : le débat sur la légalisation contrôlée du cannabis est devenu légitime à gauche. Reste à définir les modalités de contrôle spécifiques au cannabis. Partisans de longue date de la légalisation, Jean-Luc Bennahmias et Benoît Hamon connaissent les projets législatifs existants de Daniel Vaillant ou d’Esther Benbassa, mais, à vrai dire, la question n’est pas tant celle du modèle législatif idéal que celle du chemin pour y parvenir. Pourquoi ne pas commencer par des expérimentations locales ? Voilà qui permettrait un débat démocratique et un choix de régulation adaptés aux réalités locales, aux usages, à l’auto-culture, à l’achat sur Internet. Il faut avancer, car il y a urgence à calmer le jeu, à désengorger les prisons. Renoncer aux interpellations massives pour détention de cannabis afin de se consacrer aux violences. Cannabis thérapeutique, cannabis-club : ces pratiques innovantes peuvent être expérimentées dès à présent. Alors, chiche qu’on va de l’avant ? »
Pour le député de Trappes, la légalisation est surtout un outil efficace contre la délinquance – il cite d’ailleurs souvent un ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, qui s’est dit favorable, lui aussi, à la légalisation. À l’inverse d’un tout-répressif qui « ne marche pas », expliquait-il à l’émission « On n’est pas couché », début septembre, « la légalisation, c’est s’attaquer au trafic et […] à cette économie parallèle qui entretient l’insécurité et la violence ».

L’ex-président du Mouvement des jeunes socialistes – qui milite depuis plus de quinze ans pour la légalisation – veut un « monopole d’État » sur la vente, ce qui permettrait de contrôler le taux de THC, la molécule active du cannabis, mais aussi d’interdire la vente aux mineurs. Affirmant qu’il réaffectera les 568 millions d’euros annuels de la répression à la prévention (via des grandes campagnes), Benoît Hamon aime à vanter l’exemple portugais – le Portugal n’a fait pourtant « que » dépénaliser en 2000.

Suivi par Sylvia Pinel – ainsi que deux autres défenseurs de toujours de la légalisation, les ex-Verts Jean-Luc Bennahmias et François de Rugy –, Benoît Hamon ne l’est en revanche pas du tout par son camarade de l’aile gauche, Arnaud Montebourg. « Je n’ai aucune envie que les enfants de France, les miens comme les vôtres, puissent acheter du cannabis dans les supermarchés. Ce n’est pas ma vision de la société […]. Nous consacrons déjà des milliards à lutter contre les addictions à l’alcool et au tabac, ce n’est pas pour libéraliser l’accès au cannabis », affirmait celui-ci, sur BFMTV, en juin 2012. Quatre ans plus tard, le ton s’est radouci – c’est qu’il ne faut pas froisser son futur allié de la primaire : « Nous avons là un débat à ouvrir », a reconnu dimanche dernier le député de Saône-et-Loire, lequel a jugé « utile » que les citoyens soient « associés » à cette réflexion lors d’une « conférence de consensus ».

Même prudence chez le toujours mesuré Vincent Peillon. Favorable, comme Martine Aubry, à la dépénalisation, l’ancien locataire de la rue de Grenelle veut lui aussi un « débat sérieux » avec les Français, « sous la forme d’une conférence nationale ».

Seul Manuel Valls a, là encore, fait entendre sa différence. L’ex-Premier ministre ne veut entendre parler ni de légalisation ni de dépénalisation, ni même de quelque débat que ce soit. « Quand on veut gouverner, il faut savoir assumer les interdits », a-t-il simplement affirmé, comme si la posture de Monsieur Loyal suffisait à régler un débat si complexe. Le fait est que le vent semble avoir tourné, et qu’il se retrouve désormais bien seul en piste.

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