« Corniche Kennedy », de Dominique Cabrera : La grâce du vertige

Dans Corniche Kennedy, de Dominique Cabrera, une bande de jeunes plonge dans la mer du haut des rochers, sous l’œil des flics et des dealers. Adrénaline, endorphines et sueurs froides.

Ingrid Merckx  • 18 janvier 2017 abonnés
« Corniche Kennedy », de Dominique Cabrera : La grâce du vertige
© jour2fete

Juin entre Marseille et Cassis. Il fait beau. Ils passent en short et en maillot de rocher en rocher, cherchant le meilleur endroit pour sauter. Adrénaline et farniente. La mer devant eux, hospitalière, nourricière, qui les accueille et les protège. Le danger est sur terre, entre les flics et les dealers qui les ont cueillis à la sortie du lycée. Plongeurs et petites frappes, grandes gueules vulgaires en groupe, beaucoup moins en tête à tête. Et puis il y a Suzanne, l’intruse, la gosse de riches, qui sèche les cours, fuit son bac L, Madame Bovary et Œdipe roi. Elle est prise de vertiges. Fascinée par les plongeurs au point de se faire agresser puis d’intégrer la bande en séduisant ses deux mâles dominants.

Se joue aussi une intrigue policière comme il y en a aux abords de la corniche Kennedy, titre du roman de Maylis de Kerangal dont la réalisatrice Dominique Cabrera s’est inspirée. Mais cette intrigue reste en arrière-plan, de même que les flics qui surveillent les jeunes. Le sujet, c’est eux, leurs yeux, leur bouche, leur peau bronzée… Leur zone frontière au bord de l’eau. Ce domaine que Suzanne a pénétré, introduisant le regard extérieur. Comme sa mère, qui y met un pied, poussée par l’inquiétude, expulsée par le malaise. Elle n’a pas droit de cité : blanche, riche, adulte…

La caméra, bienveillante, complice, ne filme que les routes, les calanques, les serviettes sur les cailloux, les corps au-dessus et au-dessous de la surface. Suzanne serrée contre Marco, qui conduit le scooter, Mehdi derrière elle, le nez dans son cou, ses cheveux. Les filles l’ont mise en garde : « Si tu choisis, ça va mal finir… » Un couple à trois autour de la majorité. Autre frontière : Marco l’a dépassée, Suzanne et Mehdi pas encore. Au poste, ça fait une différence.

Ils rêvent : s’enfuir, être seuls au monde. Juliette et ses deux Roméo version phocéenne. -Personne ne rentre jamais, les intérieurs sont trop différents, trop éloignés. Comme leurs langages, leurs manières de parler. Qui s’apaisent et se ressemblent quand ils évoquent ce qui est important.

Le but absolu, c’est le saut le plus spectaculaire. Parents, police, argent sont de simples figurants. Le premier rôle est tenu par la mer, la prise de hauteur, le saut et l’ivresse qu’il permet. Plongées et contre-plongées. Apesanteur et gravité. Lumières et couleurs incroyables. Rap, raï, cordes… La lutte des classes et la lutte des races leur saute aux yeux et les gêne. Ils les esquivent, les défient. Feignant l’insouciance. Tentant de la prolonger, comme un bain de soleil après un bain frais.

Corniche Kennedy, de Dominique Cabrera, 1 h 34.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes