Emmanuel Macron, les élites contre le « système »
Prônant « renouveau » et « modernité », Emmanuel Macron applique les vieilles recettes du centrisme, avec une bonne dose de marketing électoral. Plongée dans la « révolution » Macron.
dans l’hebdo N° 1438 Acheter ce numéro
Sur la place de la Bastille, à Paris, quelques volontaires de Greenpeace et un prêcheur de la parole de Dieu se font voler la vedette par l’arrivée d’un groupe de militants d’En marche !, qui organise une opération de tractage électoral nommée « prise de la Bastille ». Tout un symbole pour ce mouvement qui prône la « révolution » des déçus des partis classiques.
Élie, étudiant « de sensibilité de droite », suit Macron depuis un moment et trouvait déjà intéressant ce « dépassement du clivage gauche-droite. » Pour ce fils de fonctionnaire territorial, l’élection de François Fillon à droite a été un déclencheur : aujourd’hui, il dirige la section des Jeunes avec Macron de son université. « Un jeune comme moi n’aurait pas pu avoir de responsabilités aussi vite. On me fait confiance ! », s’anime-t-il.
Amédée et Nicole, un couple de retraités, militaient chacun de leur côté. L’un au PS, l’autre à l’UMP, avant de se retrouver « en marche ». « J’ai voté Hollande et j’y ai cru », déclare le premier. « J’ai été déçu : la loi travail était une bêtise », ajoute-t-il. Emmanuel Macron a réussi un magnifique tour de passe-passe : faire oublier son bilan auprès de François Hollande. « Ce n’est pas lui qui décidait, lui pardonne Nicole. Si Juppé était passé, j’aurais hésité… Mais Emmanuel Macron est jeune, il a des idées nouvelles, il est fédérateur. On a l’impression qu’il parle à tout le monde. »
« Je me sens comme une femme célibataire qui cherchait l’amour depuis très longtemps », déclame Marlène Schiappa, adjointe au maire PS du Mans, « marcheuse » de la première heure. L’engouement est passionnel, au point parfois de tordre la réalité : « Il est le seul membre du gouvernement a être parti suite au débat sur la déchéance de nationalité », balance Bouchra, militante parisienne. Christiane Taubira appréciera, d’autant que le ministre de l’Économie avait commencé par soutenir le projet, avant de voir le débat prendre mauvaise tournure. Ce qui l’amena à diluer sa position – une spécialité maison.
Se revendiquant libéral, européen et progressiste, Emmanuel Macron a, en fait, tous les attraits du bon petit centriste. Au point d’en reprendre les références. Quand le jeune poulain se désole de l’abandon du « Chant du départ », il ne précise pas que celui-ci fut utilisé par Valéry Giscard d’Estaing en 1974 comme hymne de campagne. « Il est l’héritier de Giscard d’Estaing, Raymond Barre et François Bayrou, qui a laissé le centre orphelin », tranche Thomas Guénolé, politologue, auteur d’une thèse de doctorat sur le centrisme.
Lorsque l’ex-ministre de l’Économie, à l’occasion de l’annonce de sa candidature, appelle à la « réconciliation de la liberté et du progrès », il ressuscite Raymond Barre, ancien Premier ministre de centre-droit qui, en 1976, voulait que la France « poursuive sa marche vers une société de liberté et de progrès ». « La force du renouveau est en nous », renchérissait-il, fustigeant un « système » socialiste et se définissant lui-même comme « un homme d’ouverture » dépourvu de « l’esprit de parti »… Le même discours qu’Emmanuel Macron en 2017.
Celui-ci va plus loin encore dans la contrefaçon en empruntant le nom de son mouvement, En marche !, à Jean Lecanuet, le centriste qui a contribué à la mise en ballotage de Charles de Gaulle en… 1965 ! Lecanuet s’opposait au général par son européanisme et son « progressisme » social avec son slogan : « La France en marche ». Et Emmanuel Macron d’oser dénoncer « le mimétisme des politiques »…
Outre leur troublante ressemblance physique, Jean Lecanuet et Emmanuel Macron ont un autre point commun : ils sont les artisans de l’importation des innovations américaines en matière de stratégie électorale. Le centriste de 1965 a été le premier homme politique français à faire appel au publicitaire Michel Bongrand. Dès 1967, les gaullistes débauchent Bongrand, avant que Pompidou fasse appel, en 1969, à Havas Conseil. C’est le début de la « marchandisation » de la politique française.
En bon héritier, Emmanuel Macron embauche les ténors des nouvelles techniques américaines électorales, fondées sur des études chiffrées et une professionnalisation des actions de terrain. D’abord testées timidement par François Hollande, participant à sa victoire de 2012, ces techniques sont le fait de trois Français : Guillaume Liégey, Arthur Muller et Vincent Pons. Leur livre, Porte à porte, reconquérir la démocratie sur le terrain (Calmann-Lévy, 2013), rend compte de leurs expériences tant pendant les campagnes de Barack Obama que celle de François Hollande. Ils y évoquent deux grandes stratégies électorales : se recentrer sur sa base ou allez chercher les indécis.
Emmanuel Macron, sans électorat historique, a parié sur l’effet « nouveauté » pour rallier les déçus et les indécis. Un pari qui pourrait se révéler efficace au regard du retour des deux grands partis vers leur base. L’élection de François Fillon à droite, et celle probable de Benoît Hamon, au PS, laisserait de nombreux orphelins dans l’axe centre droit-centre gauche. Une aubaine pour Macron, dont le positionnement « ni à droite, ni à gauche » correspondrait à celui de 30 % en moyenne des Français, d’après une étude du Cevipof.
Pour ratisser large, il accepte d’être défini comme « un peu de gauche » et « un peu de droite » mais n’utilise jamais le terme de centriste, lui préférant la formule « mouvement central ». Il alimente le flou, évite les positions clivantes et la confrontation, profitant de l’absence de débat direct entre les candidats avant le premier tour de la présidentielle.
Cela ne l’empêche pas de cultiver son omniprésence médiatique : 39 couvertures de magazine en 2016 et nombre de reportages TV lui ont été dédiés. « La technique de “simple exposition” », dit Thomas Guénolé, théorie qui indique que plus un produit est vu, plus il est perçu positivement. Une affaire de publicitaire, en somme. D’autant que ses soutiens chez les propriétaires de presse et les grands communicants sont un atout : Xavier Niel, actionnaire du Monde et de l’Obs, Patrick Drahi, propriétaire de Libération, de l’Express, de RMC et de BFM TV, Vincent Bolloré…
La liste de ses alliés est longue : outre la majorité des dirigeants du Medef, on trouve Jacques Attali et Alain Minc, deux anciens conseillers de la sarkozie, qui se retrouvent dans le même bateau que Jean Pisani-Ferry, économiste, nommé par le gouvernement Ayrault en 2013 pour réfléchir aux politiques publiques d’investissements d’avenir. Il a quitté son poste ce 11 janvier, pour rejoindre En marche !. Malgré cette liste, non exhaustive, Emmanuel Macron, issu de l’ENA, de l’Inspection générale des Finances et de la banque Rothschild, continue de se définir comme « antisystème ».
C’est « la contestation des élites du pouvoir par… ces mêmes élites », écrit le politiste Gaël Brustier dans une tribune parue sur Slate. « En marche ! est un peu le Nuit debout des traders, ce qui suppose de passer par des alliances avec d’autres groupes sociaux plus nombreux en voix dans les urnes. » C’est dans cette optique que le jeune poulain, poussé par l’approche empirique de ses stratèges, développe la présence de son mouvement sur le terrain. Par le biais de questionnaires et d’ateliers de discussions thématiques, les sympathisants font remonter les idées de « la base » au travers d’une plateforme web.
C’est à partir de ces idées que le projet Macron va se construire. « On a l’impression d’être utile ; participer à la mise en place du programme motive et attire les gens. Cette construction est nouvelle », dit Philippe, un ancien militant PS. L’appel aux candidats « du peuple » pour les investitures aux législatives, motivées par l’absence d’assise politique de son mouvement, va dans le même sens : Macron apparaît comme le promoteur de la démocratie participative ! Et cela, même si les candidats s’engagent à signer un « contrat avec la nation », dont ils n’ont pour le moment aucune idée du contenu ni des modalités. Une manière de « coller au réel » qu’il utilise aussi pour justifier son libéralisme économique, et une technique électorale qui lui permet d’éviter d’affirmer clairement ses idées propres.
Ajouté à cela, l’escroquerie de sa « nouveauté » « antisystème », cela pose la question de la déviance évoquée par ses trois stratèges dans leur livre : le remplacement de l’homme politique par « un pantin mécanique dont tous les discours et les actes sont dictés par des modèles visant à maximiser l’efficacité électorale », effaçant « la dimension humaine de conviction et le rôle d’engagement citoyen que les candidats devraient jouer ». C’est la révolution Emmanuel Macron.