Faut-il voter à la primaire ?
Invités à désigner le candidat de la « Belle Alliance populaire », les électeurs de gauche hésitent. Tour d’horizon des « pour » et des « contre » à dix jours du scrutin qui se jouera sur la participation.
dans l’hebdo N° 1436 Acheter ce numéro
S’il y a bien un mot d’ordre qui les rassemble, c’est celui-là : « Venez voter ! » À chacun de leur passage média, les sept candidats à la primaire organisée par le PS s’évertuent à convaincre les électeurs de l’importance du scrutin des 22 et 29 janvier. Gageons que Manuel Valls, Vincent Peillon, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Sylvia Pinel (PRG), François de Rugy (Parti écologiste) et Jean-Luc Bennahmias (Union des démocrates et des écologistes), y sacrifieront encore de précieuses secondes de leur temps de parole lors des débats télévisés des 12, 15 et 19 janvier. Car la participation électorale est la première inconnue et l’un des principaux enjeux de cette « petite présidentielle », comme la qualifie Benoît Hamon.
Hormis le meeting qu’a tenu ce dernier au gymnase Japy à Paris, mi-décembre, les réunions publiques des candidats n’attirent pas les foules. À peine plus de 300 personnes se sont déplacées dimanche, à Liévin, pour le premier des quatre meetings que Manuel Valls a programmés d’ici au premier tour. Le nombre des bureaux de vote, en baisse de 20 % par rapport à 2011, témoigne quant à lui de la difficulté à recruter des volontaires parmi les militants socialistes pour les tenir. Du coup, les organisateurs tablent sur les trois débats télévisés pour intéresser les électeurs. Conscients que leur mobilisation sera déterminante pour l’avenir du PS, pris en tenaille entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, ils se satisferaient d’1,5 à 2 millions d’électeurs, contre 2,7 et 2,9 millions en 2011, et 4,3 et 4,4 millions à la primaire de la droite.
Militants perplexes
La participation électorale influera également sur le résultat, estiment les sondeurs, qui, prudemment, pronostiquent des résultats différents suivant le taux de participation. Moins il y aura de votants, plus ces derniers seraient légitimistes, donc plutôt enclin à voter pour Manuel Valls. À l’inverse, avec 2,6 millions de votants, Arnaud Montebourg l’emporterait, pronostiquait lundi l’institut Kantar Sofres OnePoint. L’attitude des électeurs de gauche est donc à ce jour un enjeu. Ils seraient nombreux à se demander s’il faut voter ou pas.
Bureaux de vote : le jeu de piste
Ce sont 7 530 bureaux qui devraient être ouverts sur le territoire français – DOM-TOM compris – a annoncé le socialiste Christophe Borgel, président du comité national d’organisation de la primaire de la Belle Alliance populaire.
C’est nettement moins que les 9 200 bureaux de 2011, moins aussi que les 8 000 annoncés par Jean-Christophe Cambadélis le 2 octobre, et très en deçà des 10 228 de la primaire de la droite. Pour Frédéric Bonnot, secrétaire général administratif du Parti socialiste, « on n’est clairement pas dans les mêmes conditions que 2011, où la gauche était en conquête, notamment contre Nicolas Sarkozy ».Christophe Borgel confirme et évoque une « rationalisation », tout en assurant qu’il n’y aurait pas de « désert de bureaux de vote » notamment grâce aux 35 000 à 40 000 volontaires engagés à les tenir.
Pour indiquer aux électeurs où trouver leur bureau, le PS a élaboré un moteur de recherche. Mais au lendemain de sa mise en ligne, de nombreux bugs persistaient. Des communes n’étaient pas répertoriées, comme Saint-Denis de La Réunion ou Moncontour, une commune des Côtes-d’Armor socialiste jusqu’en 2014. « Nous sommes désolés, les renseignements que vous avez fournis ne donnent aucun résultat. Veuillez réessayer ou vous rapprocher de l’assistance téléphonique », pouvait-on lire sur le site, précisant plus haut que cette assistance ne serait ouverte qu’à partir du 16 janvier. Pour ceux qui auront trouvé leur bureau de vote, parfois à 20 minutes de chez eux, il leur en coûtera un euro par tour pour participer aux frais d’organisation de ce « grand rendez-vous démocratique ».
Nadia Sweeny
« Au sein d’Attac, certains vont voter à la primaire, d’autres non. Il y en a même qui vont faire campagne pour des candidats », note Aurélie Trouvé, sa porte-parole, qui rappelle que l’association altermondialiste engagée à sa façon dans des combats politiques est « un mouvement avec une multiplicité de points de vue ». Tous sont toutefois d’accord pour juger le bilan de François Hollande « très négatif sur le plan social comme économique ». « Certains considèrent que les primaires ne peuvent amener une politique de gauche. D’autres pensent qu’il ne faut plus voter pour le PS », poursuit-elle en précisant que tel est son « avis personnel ». « Je pense quand même qu’il est important de voter pour les candidats les plus à gauche du PS, conclut-elle. Mais le renouveau ne peut se faire qu’avec un mouvement citoyen de grande ampleur comme a pu l’être Nuit debout, et les primaires socialistes ne donnent pas les conditions pour qu’un tel mouvement se mette en place. »
Symptôme de la crise politique
L’avis des militants politiques est plus tranché. Parmi les recalés de la primaire, à l’exception de Gérard Filoche (voir page 6), le refus de « désigner », comme le répète la rue de Solférino, « le candidat de la gauche rassemblée » est catégorique. « On ne va pas appeler au boycott, mais nous ne sommes pas plus concernés par cette primaire que par la primaire de la droite », lance François Béchiau, secrétaire national du Mouvement des progressistes (MDP). La petite formation créé par Robert Hue, dont le candidat, Sébastien Nadot, un jeune prof toulousain, a été écarté, juge inacceptable d’appeler « primaire de la gauche » une compétition créée par Jean-Christophe Cambadélis « pour que n’en sorte qu’un candidat socialiste ». Évincé également, Bastien Faudot, le candidat du Mouvement républicain et citoyen (MRC), 38 ans, ne donne « évidemment aucune consigne de vote ». « Je ne suis pas atteint du syndrome de Stockholm », ironise-t-il. Selon lui, ce scrutin n’intéressera que « des Français politisés qui, pour certains, ont déjà voté à la primaire de la droite ». « C’est en soit un symptôme de notre crise politique qu’un certain nombre de nos compatriotes saisissent toutes les occasions pour s’exprimer, analyse-t-il. Cela traduit un appétit pour la cause publique qui ne trouve pas sa satisfaction. »
Insatisfait, Philippe Noguès l’a été. Député du Morbihan, il a été le premier à quitter le PS et son groupe parlementaire au lendemain du congrès de Poitiers, en juin 2015. Il a toutefois « pris la décision de voter ». Et pour Arnaud Montebourg plutôt que Benoît Hamon, qu’il perçoit davantage comme « un apparatchik ». « Mais je me rallierai derrière l’un des deux sans problème », prévient-il. « Dans l’état où est la gauche aujourd’hui, il ne faut laisser passer aucune opportunité, explique-t-il. Si l’aile gauche passe, cela va créer un effet boule de neige : l’aile gauche du PS, aussi bien que Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon seront au pied du mur et devront prendre leurs responsabilités. » Philippe Noguès ne se fait toutefois pas trop d’illusions : « Je ne vois pas comment le PS peut survivre à cette primaire et je suis très pessimiste sur la possibilité d’une alliance Mélenchon/PS/Verts à cause des ego des uns et des autres. Mais si, par miracle, Mélenchon ou Montebourg n’imposaient pas leur candidature, ce serait une vraie rupture et un espoir véritable de reconstruire la gauche. »
« Possibilité de rassemblement »
Y croit-elle ? L’eurodéputée Michèle Rivasi, challenger de Yannick Jadot dans la primaire d’EELV, a invité dans un tweet, le 4 janvier, « les militants socialistes à choisir [Benoît] Hamon pour qu’il offre un projet d’avenir à la France ». Non sans préciser qu’elle même « ne voterait pas à la primaire du PS ». « On n’appelle pas nos adhérents à aller voter aux primaires de la BAP, mais d’un autre coté on n’a pas envie de dire que ça ne servirait à rien », nous confie de son côté Isabelle de Almeida, la présidente du conseil national du PCF. Si « beaucoup de gens se déplacent », cela dénoterait « une vraie vivacité du peuple de gauche » et pourrait aussi, en fonction du résultat, « traduire une possibilité de rassemblement » : « Ce n’est pas la même chose si le candidat assume l’héritage de la politique du gouvernement ou s’il fait partie de ceux qui s’y sont opposés », précise-t-elle en rêvant d’un résultat qui donnerait « un élan aux législatives ».
« Il ne faut aller voter à la primaire que si l’on pense que le PS peut encore apporter des solutions politiques à la France », estime Isabelle Attard. Mais pour ce qui la concerne, la députée écologiste du Calvados avoue ne pas y croire. « Aller voter pour éviter le pire ne m’intéresse pas, explique-t-elle. Je ne crois ni à Montebourg, qui ne croit pas dans le revenu de base et reste dans une logique productiviste. Ni à Hamon, qui a été ministre et a scellé un pacte de non-agression avec Valls, ce qui montre une réelle incohérence – de même, il n’a jamais voté ni contre l’état d’urgence, ni contre le budget. » Élue sous l’étiquette EELV, cette forte tête de l’Assemblée a été l’une des premières à quitter le parti écolo. Aujourd’hui sans appartenance partisane, après un passage à Nouvelle Donne, le portrait de son « candidat idéal, serait un mix entre Jean-Luc Mélenchon, Charlotte Marchandise [la candidate de la primaire citoyenne] et Yannick Jadot ».
« Battre Manuel Valls »
Politologue et spécialiste du PS, Rémi Lefebvre veut croire malgré tout « que le réflexe répulsif vis-à-vis du PS sera moins prononcé qu’on l’imagine » et que « la primaire mobilise plus qu’on le pense ». Pour quatre raisons : « Les votants de 2011 pourraient avoir envie de revenir aux urnes. La primaire de la droite pourrait avoir un effet d’entraînement important. Beaucoup de gens gardent un attachement au PS, ou continuent de voter pour ce qu’ils considèrent encore être un parti de gauche. Enfin, un certain nombre d’électeurs peuvent être tentés d’aller voter pour battre Manuel Valls et se venger de sa politique. » Autre motivation envisagée : « Beaucoup de gens de gauche ne sont pas emballés par la candidature de Jean-Luc Mélenchon, et espèrent peser sur l’équilibre interne du PS afin de le “gauchir” par un vote Hamon ou Montebourg. »
À entendre Jean-Christophe Cambadélis, pour qui, « quel que soit le vainqueur, le PS sera en ordre de marche », ce serait un scénario rose. Rémi Lefebvre en doute et ne juge pas imaginable en France un scénario à la Corbyn : « Si les Britanniques sont revenus dans le giron du Parti travailliste, c’est parce qu’ils n’avaient pas d’autre offre politique à sa gauche : tant que Mélenchon occupe la place, il entrave, en quelque sorte, la constitution d’un PS ancré à gauche. » Pour ce politologue, une victoire d’Hamon ou de Montebourg « risque, paradoxalement, d’accélérer la décomposition du PS ». Explication : « Même si certains caciques comme Anne Hidalgo ou Jean-Marc Germain sont assez proches des frondeurs, plusieurs sources internes m’ont assuré que, jamais, la base des notables du parti n’acceptera de soutenir Hamon ou Montebourg, quoi que fasse ou dise Cambadélis. Il faudra donc s’attendre à un basculement spectaculaire du PS vers Emmanuel Macron. »
De quoi conforter Alexis Corbière, qui met en garde contre les « illusions » : « Le PS a déjà désigné ses candidats aux législatives », note le porte-parole de Jean-Luc Mélenchon,et ce sont ceux qui dans leur « très grande majorité ont soutenu la politique de Manuel Valls ». Convaincu que « le PS est marqué au fer rouge par le quinquennat désastreux qui s’achève », il appelle à ne pas voter à sa primaire : « N’aidons pas le PS à se remettre en selle ! Pourquoi risquer, par son vote, de légitimer un parti qui sera une gêne pour la candidature de Jean-Luc Mélenchon ? Pourquoi donner du poids à un candidat qui, contrairement à Jean-Luc Mélenchon, n’est pas capable d’accéder au pouvoir ? »