« La la land », de Damien Chazelle : L’entrée des artistes
La la land, de Damien Chazelle, est plaisant, mais il échoue à sortir d’une vision convenue de la réussite artistique.
dans l’hebdo N° 1438 Acheter ce numéro
Il y a eu un effet Whiplash. Parce que le premier film de Damien Chazelle sorti en France, en 2015, a fait beaucoup d’entrées. Parce que ce titre, reprenant celui d’un morceau de Hank Levy, est devenu un code, presque un syndrome pour caractériser ce qu’il peut y avoir de violent dans une relation pédagogique [^1]. Whiplash a divisé depuis les salles de cinéma jusque parmi les musiciens amateurs et professionnels et, au-delà, les artistes en tout genre, les sportifs, etc.
Déjà un phénomène avant de débarquer sur les écrans, La la land est aussi plaisant que Whiplash était déplaisant. « La la », comme un début de chanson à L. A., met le doigt sur la même problématique : devenir artiste. Avec des personnages un peu plus âgés, de jeunes actifs. L’une, Mia (Emma Stone), est serveuse dans un café à l’intérieur des studios de la Warner et enchaîne les castings en espérant décrocher même un rôle ridicule dans une série télé bas de gamme. L’autre (Ryan Gosling) est pianiste de jazz, le vrai, le pur, « que plus personne n’écoute », même free, et gagne péniblement sa vie en jouant de la pop ou en faisant du son d’ambiance.
Damien Chazelle n’est jamais aussi juste que quand il plante son élégant fan de Thelonious Monk dans une fête farce, jouant « Take on Me » de A-ha sur un clavier-jouet. Ou quand il montre son aspirante comédienne jouant le désespoir devant un directeur de casting qui commande un sandwich. Le jeune réalisateur américain a réfléchi à ce par quoi il fallait passer en compromis, humiliations et auto–trahisons pour « réaliser son rêve ». Il a manifestement un message encourageant à faire passer sur l’importance d’être en accord avec soi-même et sur la discordance entre succès commercial et succès artistique. Mais ce message ne traverse pas l’écran. Un peu comme le générique de début, qui ne tient pas ses promesses. Des voitures sont coincées dans un embouteillage sur une bretelle à l’entrée de la « ville des stars ». La caméra passe d’un autoradio à l’autre, les notes s’enchaînent sans queue ni tête, puis elle s’arrête dans une voiture où une jeune femme chante, sort et se met à danser. Son voisin l’imite et ce sont bientôt des dizaines de conducteurs qui dansent comme à Broadway entre les toits, les capots et les portières sur le même morceau.
Exaltant. Sauf que la musique, dans cette scène de liesse, rend un son feutré de studio. Il y a quelque chose de « pas raccord » dès les premières minutes de La la land, qui échoue tout du long à combler ce fossé entre le son et l’image. C’est cette distorsion qui déréalise, beaucoup plus que le ton assumé du conte, les couleurs saturées en hommage aux comédies des années 1960, ou même la tendance clip, qui remplace un peu facilement les dialogues.
Damien Chazelle vénère Jacques Demy, mais sa comédie romantique renvoie davantage à un Woody Allen marié à une bluette britannique, l’humour en moins. Car il est un brin nostalgique et ne sait trop comment se dépêtrer du débat sur l’ancien et le moderne. Ni de celui sur pragmatisme et idéalisme. Il pencherait bien pour le second, avec son côté « à tout jamais », mais il ne se risque pas à montrer ce que « succès artistique » pourrait signifier, sinon dans une dimension entrepreneuriale. Et il finit par illustrer le contraire de son propos : une vision assez convenue de l’art – et pas très contemporaine.
Du musical La la land il reste quelques jolies chorégraphies et des mélodies assez académiques, dans une ville qui ressuscite plus de décors que de cinéma. Reste que les avant-premières de La la land ont fait salle comble. Alors que, dans le film, cinémas et club de jazz ferment. Conjuration ?
[1] Voir Politis n° 1358.
La la land, Damien Chazelle, 2 h 08.