Le plateau de Saclay sacrifié sur l’autel du Grand Paris
Présenté comme la future Silicon Valley française, le projet pharaonique du cluster Paris-Saclay aura de nombreuses conséquences sur l’agriculture, l’environnement et le patrimoine historique des alentours.
Poumon vert de près de 5 000 hectares, le plateau de Saclay, situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Paris, compte parmi les terres les plus fertiles d’Île-de-France. Mais, depuis quelques années, les champs de blé, de colza et de maïs sont menacés par un projet de pôle technologique et universitaire. Ce « cluster », qui devrait regrouper d’ici 2020 le fleuron de la recherche et de l’innovation françaises (École normale supérieure, Polytechnique et CNRS, entre autres), doit amputer de près de 400 hectares les 2 700 hectares actuellement cultivés. Une situation intolérable pour les habitants et les associations locales qui, à contre-courant de « la communication enjolivée entourant ce projet », se battent pour sauver ces terres de l’urbanisation massive.
Un plateau aux atouts exceptionnels
Saclay Citoyen, un groupe d’action juridique formé en 2015, refuse fermement la « bétonisation du plateau », sur lequel 1 000 hectares de terres agricoles ont déjà disparu depuis 1982. Aux côtés de la fédération France Nature Environnement, l’association veille à défendre ces terres, sur lesquelles se développe depuis plusieurs années une activité agricole particulièrement riche et dynamique, de plus en plus tournée vers le bio. À Villiers-le-Bâcle, la boulangerie Le Fournil, alimentée en farine bio par la ferme du village, est un exemple représentatif de ces initiatives de circuit court. « L’implication citoyenne est ici très forte, souligne Cyril Girardin, chercheur en sciences du sol à l’Inra et président de l’association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) Les Jardins de Cérès. Les habitants du plateau sont particulièrement sensibles à cette proximité, comme l’attestent le succès des ventes à la ferme et la cueillette à la ferme de Viltain ! »
En 2002 et 2012, des audits patrimoniaux menés par un professeur de la Sorbonne ont confirmé le potentiel agricole du plateau et ont fait émerger des Amap ainsi que la société civile immobilière Terres fertiles, spécialisée dans le rachat de terres agricoles menacées. Ces études ont également rassuré les agriculteurs sur la pérennité de leurs exploitations, à la condition _sine qua non que la superficie de cet espace cesse d’être réduite.
1,16 euro le mètre carré
Depuis 2009 et l’inscription du projet de cluster dans le cadre d’une « opération d’intérêt national » (OIN), la mobilisation ne faiblit pas. Face aux critiques, l’établissement public d’aménagement Paris-Saclay (Epaps) met en avant la création d’une zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF), inscrite dans la loi de juin 2010 relative au Grand Paris. « C’est un leurre ! », proteste Harm Smith, coordinateur du Collectif OIN Saclay (Colos). Et le militant de poursuivre, pessimiste : « Ce qu’une loi peut faire, une autre peut le défaire. Et cette zone dite “protégée” est déjà remise en cause par un golf ! »
Sur le plateau, où s’étendent de vastes champs de céréales, les tracteurs laissent peu à peu place aux bulldozers et aux grues. Les expropriations ont déjà commencé et les militants estiment que les travaux ont été engagés sur près des « trois quarts » des 400 hectares concernés.
Emmanuel Laureau, exploitant agricole sur la ferme de la Martinière, va perdre 70 hectares : « On ne peut pas lutter. Une fois l’expropriation confirmée, nous pouvons seulement contester le prix de vente fixé par le juge [1,16 €/m2, NDLR], et c’est à nous de trouver d’autres terres. Celles que j’ai récupérées ne sont évidemment pas aussi fertiles, le manque à gagner est considérable. »
Un projet d’urbanisation massive « caché »
Mais ce que dénoncent avant tout les militants, c’est la transformation – à plus ou moins long terme – du projet initial de « campus cluster » en « super cluster métropolitain ». Une ville nouvelle de près de 35 000 habitants serait ainsi amenée à sortir de terre sur la frange sud du plateau. « Ce territoire est sujet à tous les fantasmes ! » s’inquiète Cyril Girardin, en rappelant la possibilité que le plateau de Saclay accueille l’Exposition universelle de 2025 et ses quelque 40 millions de visiteurs.
Autre bête noire des associations, le projet de ligne 18 du métro, qui devrait relier d’ici 2024 la capitale au cluster. « Ce métro, c’est la porte ouverte à l’urbanisation ! » alerte Harm Smith. S’appuyant sur un amendement présenté par le gouvernement, le militant précise que la Société du Grand Paris peut « d’ores et déjà conduire des opérations d’aménagement dans un rayon de 400 mètres autour des gares nouvelles du Grand Paris Express. »
Claudine Parayre, membre de Saclay Citoyen, avance de son côté l’argument de la rentabilité de ce métro pour justifier ses craintes d’une urbanisation massive. En effet, la Société du Grand Paris annonce aujourd’hui 100 000 personnes par jour sur cette ligne. Or, selon la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), il en faudrait quatre fois plus pour que le réseau soit rentable.
Avec un coût initial de 2,7 milliards d’euros, difficile de croire que la ligne soit laissée déficitaire, soutient la militante. Tout sera fait pour que le trafic augmente !
Face à ce projet jugé onéreux et nuisible pour l’environnement, les associations proposent de leur côté l’idée d’un téléphérique qui relierait le cluster aux RER B et C, dont la capacité de débit serait suffisante pour écouler le trafic attendu.
« Ce projet n’a d’intérêt pour personne ! »
Comme l’atteste la création de la communauté d’universités et établissements Université Paris-Saclay, l’objectif affiché est de constituer un pôle universitaire au rayonnement international. « Tout ceci répond à une volonté de l’État et non à une demande des chercheurs ou des universitaires », souligne Cyril Girardin. Souhaitant défendre leurs identités respectives, les grandes écoles et les universités ont déjà pris leurs distances sur ce rassemblement, obligeant même l’État à ouvrir une phase de négociation en novembre 2016.
À ceci s’ajoutent le mécontentement d’une partie des salariés et le paradoxe de certains transferts d’établissements vers le cluster. Installés sur le site historique de Grignon, les chercheurs de l’Inra partagent aujourd’hui avec AgroParisTech près de 200 hectares de terres expérimentales. « Nous n’aurons plus que 4 hectares pour nos recherches sur le nouveau campus. De plus, nous quittons des locaux dans lesquels 40 millions ont été investis ces dernières années », remarque Cyril Girardin, lui-même chercheur dans cet institut. Quid, enfin, du domaine de Grignon, classé monument historique ? « Le ministère de l’Agriculture semble déterminé à vendre ce site exceptionnel au plus offrant », regrette le scientifique.
Une guérilla juridique
Soutenu par un financement participatif, Saclay Citoyen utilise aujourd’hui tous les recours juridiques pour faire stopper les travaux. Regrettant l’absence d’une véritable concertation, le collectif multiplie les demandes d’organisation d’un débat public autour de ce projet d’aménagement. Deux recours ont également été déposés au tribunal administratif de Versailles ; l’un contre une procédure visant à exproprier un agriculteur sur le secteur de Corbeville, l’autre contre la déclaration d’utilité publique de la route départementale 36.
Sur le plan européen, une pétition a été déposée à la commission des pétitions, qui l’a jugée recevable et l’étudiera dans les mois à venir. Le Parlement européen pourrait alors potentiellement exprimer son désaccord sur le projet et en demander certaines modifications.
François Vautier, juriste, cherche d’autres points sur lesquels pourraient se porter de nouveaux recours :
Le projet est présenté comme une « opération d’intérêt national ». Mais il semble pourtant voué à être financé uniquement par les franciliens. De quoi remettre en question le principe d’égalité devant l’impôt…
Dans l’attente des différentes procédures engagées, la demande des militants est sans appel : « Nous demandons au Premier ministre un moratoire _sur l’urbanisation du plateau de Saclay », conclut Catherine Giobellina, vice-président de FNE Île-de-France. Le gouvernement n’a jusqu’ici pas spécialement réagi aux diverses revendications entourant le projet de cluster Paris-Saclay… lauréat en 2015 des « Territoires à énergie positive pour la croissance verte ».