Les mondes parallèles de Montebourg et Hamon
C’est le match dans le match. Au coude à coude dans la dernière ligne droite de la primaire du PS, les deux candidats tenaient meeting mercredi à Paris. Pour une ultime démonstration de force.
Qui d’Arnaud Montebourg ou Benoît Hamon attirera le plus de monde ? C’était la question qui agitait mercredi soir le petit monde socialiste. Les deux anciens alliés de la « cuvée du redressement », en concurrence au sein de la primaire organisée par le PS, avaient tous deux prévu une ultime démonstration de force à quatre jours du premier tour, où l’un et l’autre se disputent l’aile gauche de l’électorat socialiste.
L’ancien ministre du Redressement productif avait retenu, il y a de cela plusieurs semaines, au nord de Paris, le gymnase Jean Jaurès dans le XIXe arrondissement, une salle assez modeste dédiée à la boxe et aux arts martiaux, pour son unique meeting depuis la trêve des confiseurs. L’ancien ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire et à la consommation, avait lui donné rendez-vous à ses partisans au sud de Paris, dans le XIVe arrondissement, à l’Institut national du judo dans une salle de plus grande capacité.
Résultat ? Si l’on se tenait chaud chez Arnaud Montebourg, c’est Benoît Hamon qui l’emporte encore à l’affluence, avec un peu plus de 3 000 personnes quand son rival en a attiré presque deux fois moins.
Chez Benoît Hamon, la sono envoie Prayer in C de Lily Wood and the Prick, de l’électro-rock adapté à la moyenne d’âge de son public, entre 18 et 30 ans. Elle est plus élevée chez Montebourg, où le monsieur Loyal de la soirée, Frédéric Hocquard, délégué à la nuit du conseil de Paris, remercie l’artiste qui a mixé une musique de campagne rythmée, plus entêtante qu’entraînante.
Des petites musiques dissonantes
Commence sur chaque tribune un défilé d’orateurs choisis pour leur popularité ou illustrer des thèmes phares du candidat qu’ils soutiennent. Dans cette séquence, Arnaud Montebourg peut compter sur deux poids lourds : Gérard Filoche et Guy Bedos. Premier à s’exprimer, l’ex-inspecteur du travail exclu de la primaire expose les raisons qui l’ont conduit en début de semaine à rallier la candidature du _« candidat de la feuille de paie ». « Parce que moi je suis pour les salaires, pas les revenus », lance-t-il dans une allusion au revenu universel que Benoît Hamon propose de créer. À l’Institut du judo, les remerciements de Carine Petit, maire du XIVe, adressés à l’équipe des bénévoles, réveillent moins la salle.
Les propos des personnalités qui leurs succèdent font parfois entendre une petite musique dissonante. Soutien de Benoît Hamon, Marie-Monique Robin, réalisatrice de Le Monde selon Montsanto, montre fièrement aux caméras le pin’s des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qu’elle porte en boutonnière. Citant Victor Hugo – « Il n’y a rien de plus puissant au monde qu’une idée dont l’heure est venue » – elle annonce que l’idée de transition écologique et sociale doit remplacer celle de croissance. « On n’a rien trouvé de mieux que la croissance pour créer des emplois et faire baisser le chômage », martèle pour sa part l’économiste Mathieu Plane, un des artisans du programme d’Arnaud Montebourg.
Quand Aïssata Seck, adjointe au maire de Bondy (Seine-Saint-Denis), prend la parole pour soutenir ce dernier, attestant que « le Made in France c’est aussi la France diversifiée », Silvine Thomassin, maire de Bondy, fait état de son soutien à Benoît Hamon. Étonnant parallélisme.
Des registres différents
Après une heure de ces « témoignages », viennent les candidats. Le député des Yvelines débarque, annoncé par une levée de drapeaux concertée entre ses militants. Comme entrée en matière, Benoît Hamon se félicite d’avoir réussi à déplacer les thèmes de la campagne du triptyque malhonnête « identité, sécurité, fermeté » vers des questions de « justice sociale » et de « redistribution des richesses ». Tout en insistant sur son dégoût de la mystique de « l’homme providentiel », le candidat assume proposer un « projet global de société » capable de nourrir « l’imaginaire collectif ».
Entrée en musique pour Arnaud Montebourg, qui parcourt les balcons du gymnase Jean Jaurès avant de descendre un escalier et de se frayer un chemin au milieu des drapeaux tricolores et des cartons à son nom qu’agitent les militants. Il serre des mains, claque une bise par ci par là, gagne la tribune sous les applaudissements, salue encore, et fait signe à la régie d’un geste discret de prolonger ce moment de ferveur militante en ne coupant pas prématurément la musique.
D’emblée il désigne « le mur des puissants » comme son adversaire. Et assure faire partie « de cette histoire collective des Français qui un jour ont dit non ». Quand « jeune avocat » il avait attaqué le Premier ministre Alain Juppé sur son appartement ; quand « avec Vincent Peillon » il avait décidé de s’attaquer « aux paradis fiscaux » ; quand il a tenté d’engager, contre l’avis de Lionel Jospin, des poursuites contre Jacques Chirac ; ou encore quand, il y a deux ans et demi, il a « dit au Premier ministre [son] désaccord sur la politique économique » . « Nous aurons toujours le devoir de dire non », poursuit-il en concluant de cette rétrospective que lui saurait « dire non à Poutine, Trump et Merkel ».
Dans un registre plus modeste, Benoît Hamon rejette le concept politique de vérité :
Je propose une option qui n’est pas LA vérité, comme je dis c’est une option, un chemin : vous le prenez si vous pensez que la perspective du revenu universel est intéressante.
Ce qui ne l’empêche pas de défendre bec et ongle sa proposition phare contre ceux qui l’accusent de promouvoir la « société du farniente ».
Le revenu de la discorde
« Hamon veut payer les gens à dormir, mais grâce à la rente, beaucoup de gens au Medef sont déjà payés à dormir !», plaisante-t-il. Avant d’expliquer plus amplement l’articulation de sa proposition avec la philosophie d’un travail digne. Les 750 euros qu’il propose, non seulement permettraient de lutter contre l’extrême pauvreté, mais également de doter l’employé d’une « plus grande capacité de négociation » face à l’employeur. Il s’appesantit également sur la disparition probable de plusieurs métiers, due à la « révolution numérique », une réalité dont il « faut se réjouir », puisqu’elle peut engendrer la « réduction du temps de travail ».
Arnaud Montebourg ne l’entend pas de cette oreille. Entre quelques rudes attaques contre François Fillon et Marine Le Pen, le chantre du Made in France, qui défend également son projet « réaliste mais ambitieux, raisonnable mais audacieux », a réservé quelques piques à son rival : « Je préfère le salaire juste au revenu universel », lance-t-il, assimilant le projet de société dans lequel celui-ci s’inscrit à « de la résignation » quand lui propose de « redonner du travail à chacun » par une politique volontariste de relance. « Oui je suis le candidat de la feuille de paie, s’enflamme-t-il sous les applaudissements, de la feuille de soin, de la quittance de loyer, du relevé de pension, parce que c’est la première condition à remplir pour assurer sa liberté de vivre, d’exister et d’assurer la subsistance de soi-même et de sa famille. » En aîné, il fait la leçon à son cadet, suscitant quelques rires dans la salle :
Les propositions que je formule ne sont pas expérimentales pour 2022, ce sont des propositions immédiatement opérationnelles pour dans cinq mois.
Manuel Valls aura été plus épargné.
Benoît Hamon, au moment de conclure son discours, déclare, après avoir rappelé son attachement aux principes républicains, accepter « les critiques qui permettent d’améliorer un projet commun de société ». Un signe d’humilité autant que de sincérité qui contraste avec l’assurance de son rival. Cela lui permettra-t-il de faire la différence dimanche ? Son équipe semble y croire. A la sortie du meeting, sur le coup de 22h30, ses bénévoles récupèrent, les ôtant presque des mains des visiteurs, les affichettes en carton siglées de son slogan, « Faire battre le cœur de la France », distribuées trois heures plus tôt. « Pour la suite, on économise. »