Primaire : Celui qui ira et celui qui n’ira pas
Pour Gérard Filoche, il faut absolument éliminer Manuel Valls pour sauver la possibilité d’une gauche unie. Pour Pierre Larrouturou, au contraire, les candidats à la primaire sont coresponsables de l’état du pays et de la gauche.
dans l’hebdo N° 1436 Acheter ce numéro
Gérard Filoche
Membre du Parti socialiste, ancien inspecteur du travail.
« Évidemment, si on est de gauche, il faut voter à la primaire citoyenne puisqu’elle est ouverte à toute la gauche et aux écologistes ! C’est d’abord une opportunité de battre Manuel Valls, de revenir sur la loi El Khomri, le 49-3, le CICE… C’est aussi l’occasion unique de réveiller la gauche, et la seule chance pour qu’elle accède au second tour de la présidentielle.
Jean-Luc Mélenchon ne peut gagner seul en souhaitant l’échec de la primaire : vouloir la mort du PS ne peut constituer une orientation politique pour son mouvement France insoumise. Ce serait une erreur fatale de ne pas chercher à additionner les voix de toute la gauche ! Le PS est encore, pour le moment, la formation de gauche ayant le plus important réseau d’élus susceptible de constituer une majorité. Même en payant le lourd tribut de l’échec du quinquennat, un tel parti ne disparaît pas sans être physiquement remplacé et cela ne peut se produire sans une dynamique sociale et politique qui entraîne, brasse et unisse ses millions d’électeurs, toute la gauche, tous ses partis, ses syndicats, ses militants, ses élus de terrain.
Sous le quinquennat de François Hollande, le PS a été kidnappé par son aile droite minoritaire, laquelle a totalement trahi mais s’accroche. J’ai subi une scandaleuse élimination de la primaire, mais il reste à mobiliser des millions d’électeurs pour voter pour Arnaud Montebourg ou Benoît Hamon, qui sont la seule possibilité de faire revivre ce parti, de faire en sorte que le PS de Jaurès batte le PS de Valls.
On l’a vu en Grande-Bretagne : après le désastre des années Blair, Jeremy Corbyn a gagné deux fois la primaire du Labour Party pour y faire une vraie politique de gauche, il a redonné l’espoir et le nombre d’adhérents a été multiplié par six !
Si je dis cela, ce n’est surtout pas pour défendre un appareil politique que j’ai combattu sur le fond (l’Accord national interprofessionnel, les scélérates lois Macron et El Khomri) depuis quatre ans. C’est parce qu’en redessinant le PS, en redonnant confiance à ses militants et à ses électeurs, c’est l’avenir de la gauche entière que l’on va sauver, reconstruire, unifier. En cela, cette primaire est donc historique. Si, par malheur, Manuel Valls la remporte, aucune unité de la gauche ne sera possible et la présidentielle sera perdue dès le 23 avril à 20 heures par l’ensemble de la gauche. Ce sera un désastre pour les plus vulnérables des nôtres face à Fillon et à Le Pen. Ensuite, Valls prendra le « PS » (ou ce qu’il en reste), transformé cette fois définitivement en un obstacle redoutable à la victoire d’une gauche unie.
En revanche, si l’aile gauche gagne le 29 janvier, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Dès le 30 janvier, le candidat de la gauche socialiste élu rencontrera Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot pour construire un programme de gouvernement rouge, rose, vert. S’il y a programme commun, la répartition des rôles sera possible, ainsi qu’un candidat unique. Je veux croire cela possible, car sinon la situation deviendra tragique. Pour faire face à la droite, la gauche doit se respecter et s’unir, au-delà des querelles d’ego : il est impératif et très facile de mettre en stand-by les divergences programmatiques générales et de trier ce qui peut faire une base commune d’actions immédiates pour gouverner, pour un changement social radical par la redistribution rapide des richesses, en premier lieu la hausse des salaires et la taxation des dividendes. »
Pierre Larrouturou
Économiste, fondateur de Nouvelle Donne.
«Le Parti socialiste a choisi de verrouiller ce qui avait été annoncé comme une primaire de toute la gauche et de la réserver à cinq anciens ministres de François Hollande et à deux satellites du PS. C’est dramatique. Ils vont se différencier en disant qu’ils ont été ministres pendant deux ans, trois ans, quatre ans et demi… Mais ils l’ont tous été dans les premières années du quinquennat, quand ont été prises les décisions les plus importantes : celles de ne pas changer les traités européens, de ne pas établir de séparation des banques, de donner 30 milliards d’exonérations aux entreprises sans contrepartie…
Au moment où Jean-Marc Ayrault voulait peut-être lancer le chantier de la réforme fiscale en s’inspirant des propositions de Thomas Piketty, ce sont Arnaud Montebourg et Benoît Hamon qui ont intrigué pour mettre Manuel Valls à Matignon. Nous expliquer aujourd’hui qu’il y a un choix fondamental à faire entre ces trois-là n’est pas sérieux. Ils sont coresponsables de l’état du pays et de celui la gauche.
Après l’adoption par le PS, le 2 octobre, d’un texte qui tendait la main à toutes les forces politiques extérieures à la Belle Alliance populaire, Nouvelle Donne avait décidé, après de longs débats, de dire « chiche ». Vu l’image du PS, ce n’était pas évident. Mais la façon dont le PS nous a fermé la porte est scandaleuse. Cette primaire ouverte est un mensonge. Après cela, ils verseront des larmes de crocodile sur le niveau de l’abstention et du FN, alors que leurs mensonges accumulés en sont une des causes fondamentales. Je n’ai aucune envie, à titre personnel, de les cautionner.
J’ai l’impression qu’on débat de plein de choses dans cette primaire ; quelques sujets sortent parce qu’ils sont à la mode, mais les questions du chômage et de la précarité ne sont pas du tout au cœur des débats. Aucun candidat n’explique comment on peut créer un ou deux millions d’emplois. Alors que le fait qu’il y ait plus de six millions d’inscrits à Pôle emploi plombe les négociations sur les salaires et sur le contenu du travail, provoque une souffrance au travail considérable et une baisse des cotisations sociales. »