Travail et urgence climatique

La transition écologique pourrait créer un million d’emplois.

Geneviève Azam  • 18 janvier 2017 abonnés
Travail et urgence climatique
© DANIEL REINHARDT / DPA / AFP

Le chômage massif, la précarité, les résistances à la loi travail « et son monde », les dégâts individuels, sociaux et écologiques de l’injonction productiviste ont réactualisé les débats sur l’emploi : baisse du temps de travail, revenu universel, salaire à vie occupent la place publique. Les différentes propositions, au-delà des évaluations techniques, reposent sur des hypothèses qui engagent des visions du monde. C’est celle de la rareté du travail, rendant nécessaire son partage ou sa déconnexion du revenu, que l’urgence climatique permet de discuter.

Plusieurs études – de l’OCDE ou, plus, récemment du Conseil d’orientation pour l’emploi – déconstruisent la croyance en l’invasion de robots, de logiciels et d’algorithmes sur les lieux de travail [^1] : seuls 10 % des emplois auraient un indice d’automatisation élevé. Prendre en compte les effets de ces transformations est nécessaire – et ces effets ne sont pas seulement quantitatifs –, mais les surestimer et en déduire l’inéluctabilité de la rareté du travail revient à voir la société sous un prisme technologique. Cette vision d’un travail raréfié, même si ses promoteurs s’en défendent, renouvelle finalement l’industrialisme productiviste, cette fois avec des machines supposées « intelligentes », légères, dématérialisées, ludiques. Elle ignore les potentielles résistances humaines et sociales à un tel processus et, surtout, les bornes physiques et matérielles à la généralisation de ces innovations. L’intelligence artificielle contenue dans les robots n’est pas immatérielle : elle mobilise d’énormes stocks de mémoire, incorpore d’importantes quantités d’énergie et de matériaux « rares ». La miniaturisation de telles machines n’en fait pas les objets low-tech dont nous avons besoin pour la transition écologique, mais des objets high-tech.

La prise en compte de l’urgence écologique et climatique conduit à déconstruire les clichés et les a priori idéologiques. Si nous devons réduire l’impact des activités humaines sur les écosystèmes, si nous devons réparer les destructions du productivisme et abandonner la course à la productivité, ce n’est pas de moins de travail dont nous avons besoin, mais de plus de travail et d’un autre rapport au travail. Depuis la COP 21, des organisations analysent concrètement et dans tous les secteurs l’impact et le contenu de la transition énergétique, de la transition agricole et de la transition industrielle. Dans le premier rapport qu’elles viennent de publier, elles avancent la possibilité de créer un million d’emplois en France [^2]. Cette évaluation, avec les limites inhérentes à un tel exercice, dessine une tendance et raconte une autre histoire. Celle d’une société qui fait du travail la participation à une œuvre commune, non plus celle de l’après-guerre, du « retrousser les manches » pour développer les forces productives, mais celle de réparer et de prendre soin des humains et de la Terre.

[^1] « Révolution numérique : les emplois les plus menacés », Les Échos.fr

[^2] emplois-climat.fr/le-rapport/

Geneviève Azam membre du conseil scientifique d’Attac

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