« Hamon veut montrer qu’il renoue avec l’identité profonde du PS »
Pour le politologue Frédéric Sawicki, Benoît Hamon doit trouver la bonne distance avec le PS s’il veut rassembler.
dans l’hebdo N° 1440 Acheter ce numéro
Comment rassembler le PS tout en prenant de la distance par rapport au quinquennat qui vient de s’écouler ? Spécialiste du Parti socialiste, Frédéric Sawicki estime que Benoît Hamon a quelques atouts dans sa besace pour résoudre cette équation complexe. Notamment une longue habitude de la négociation en interne au PS, mais aussi grâce à ses bons scores à la primaire.
Pourquoi est-il si important pour Benoît Hamon de rassembler son parti, alors qu’il n’est manifestement pas sur la même ligne politique ?
Frédéric Sawicki : D’abord, parce qu’après avoir participé aux primaires il lui était impossible de ne pas jouer le jeu du rassemblement. Ensuite, Benoît Hamon est quelqu’un qui s’est formé au sein du PS très jeune, qui a la culture de l’organisation, une longue habitude de négocier des équilibres entre les différents courants du parti. S’il a fait un si bon score au premier tour de la primaire par rapport à Arnaud Montebourg, c’est d’ailleurs parce qu’il bénéficiait de forts soutiens militants en interne… Tourner le dos au parti, en refusant par exemple de soutenir des députés sortants, reviendrait pour lui à prendre le risque d’être en rupture avec cette tradition, d’être très critiqué par les siens, voire de pousser certains camarades vers Emmanuel Macron. Il ne faut pas oublier, enfin, que c’est le PS qui finance la campagne.
Mais ce PS droitier n’est-il pas un boulet pour rassembler à gauche ?
L’enjeu pour Hamon, c’est désormais de représenter tout le parti, y compris les soutiens de Hollande et de Valls, y compris le noyau mou, centriste, du PS. Ce ne sera pas facile, mais il a quelques atouts à faire valoir : s’il fait un bon score à la présidentielle, cela peut conduire à de bons résultats aux législatives. Cela signifie beaucoup de députés, mais aussi des ressources financières préservées pour le PS. Par ailleurs, peu d’observateurs l’ont noté, Hamon est arrivé en tête de la primaire dans quasiment tous les départements. Les élus socialistes qui seraient tentés de rallier Macron ou même simplement de prendre leurs distances avec le candidat prendraient le risque de se mettre à dos une partie importante de leur électorat… Autrement dit, tout le monde a intérêt à soutenir Hamon. On est dans le cadre d’une structure de coopération obligée. Jusqu’à la présidentielle, du moins… Ensuite, viendra l’heure des comptes.
Justement, comment Hamon peut-il faire pour s’assurer que le PS correspondra bien à sa conception de la gauche, même en cas de défaite ?
Il y a en effet un gros enjeu autour de l’évolution des rapports de force au sein du PS après la présidentielle. Pour l’heure, l’élection de Benoît Hamon ne change pas l’équilibre interne des forces. La motion majoritaire du congrès de Poitiers [celle soutenue par Manuel Valls et Martine Aubry, NDLR] a réuni 60 % des suffrages, celle des frondeurs un peu moins de 30 %. Il devrait y avoir un congrès dans l’année qui suit l’élection. À ce moment-là, les militants seront appelés à se prononcer sur une orientation. Et rien ne dit que Benoît Hamon et ses proches seront alors majoritaires…
D’autant que les électeurs de la primaire ne sont en général pas membres du PS…
Il y a plusieurs scénarios possibles : soit Hamon gagne la présidentielle, et il aura alors toute légitimité pour conduire un changement au sein du PS dans le sens de la recréation d’un parti « social-écologiste ». Soit Hamon est battu. Et là, tout dépendra des conditions de sa défaite. S’il devance Mélenchon et le candidat de la droite, et qu’il est battu de justesse par Macron, une partie des députés socialistes sera tentée de le rejoindre, ce qui faciliterait la tâche d’une recomposition de la gauche autour du PS et des écologistes. Si, en revanche, Hamon est défait largement, on peut s’attendre à une belle bagarre entre hamonistes et valls-hollandistes. Ces derniers diront que les électeurs n’ont pas suivi la ligne de Hamon, et auront toute légitimité pour entériner une ligne droitière. Si Valls se montre aujourd’hui aussi loyal, c’est sans doute qu’il pense que c’est ce qui va arriver.
Au fond, pourquoi tout le monde se bat pour garder la main sur le PS ?
Tout ce que j’entends sur la fin des partis politiques, c’est intéressant… Mais si on veut avoir une force capable de coordonner un réseau d’élus et de militants sur tout le territoire, de faire travailler des gens ensemble, si on veut disposer des financements et des relais pour mener efficacement des campagnes, je ne vois pas ce qui peut se substituer à un parti. Les socialistes le savent, c’est pourquoi tous veulent conserver la structure, c’est-à-dire les permanents, les biens immobiliers, dont le siège du parti et les bâtiments des fédérations (20 millions d’euros au total)… Ils veulent aussi conserver tout le capital symbolique que représente le PS, l’imaginaire et les références historiques qu’il incarne. C’est quand même le parti de Jaurès, de Blum, des congés payés, des 35 heures, etc. Certains des électeurs, qui sont âgés, ont encore confiance en lui pour défendre les valeurs de justice sociale et les acquis…
Rompre clairement avec le PS serait une erreur ?
Je crois qu’il ne faut pas confondre François Hollande et le PS. C’est d’ailleurs dans cet espace-là que joue Benoît Hamon. Comme Sarkozy en 2007, qui a été élu Président en réussissant à faire oublier qu’il avait été le ministre de Chirac pendant cinq ans, Hamon s’efforce d’apparaître comme un candidat neuf, qui n’est pas comptable du bilan du quinquennat. Sa stratégie, c’est de dire que François Hollande a trahi le socialisme en ne respectant ni le programme du parti ni le sien, et que lui incarne la fidélité aux valeurs socialistes tout en les mettant au goût du jour. En réactivant un certain nombre de symboles, il promet qu’il va renouer avec l’identité profonde du PS tout en s’adaptant aux transformations du monde contemporain.
Pensez-vous que Jean-Luc Mélenchon peut rejoindre Benoît Hamon ?
Cela semble improbable, ne serait-ce que parce que le candidat de la France insoumise a déjà engagé beaucoup d’énergie et… d’argent dans cette campagne et que s’il retirait sa candidature, tout serait perdu. Mélenchon ne peut pas prendre le risque de décevoir son camp si brutalement. Pour qu’un accord soit possible, il aurait fallu des négociations programmatiques longues. Avec le PCF ou les Verts, il est plus facile de négocier parce qu’ils ont des postes de parlementaires à conserver ou à gagner. Mélenchon, qui n’est pas comptable d’un grand parti, ce qui est à la fois une force et une faiblesse, n’a, lui, pas grand-chose à perdre.
Frédéric Sawicki Professeur de science politique à la Sorbonne (Paris I).