La droite et le centre torpillent le « droit à l’eau »
Une occasion historique d’inscrire dans la loi le droit à l’eau potable a été phagocytée au Sénat, à quelques heures des vacances parlementaires.
Quatre ans de travail des ONG et une occasion historique d’imprimer dans la loi française un droit d’accès à l’eau potable pour les plus démunis. C’est ce que les sénateurs LR ont torpillé, mercredi soir, à la veille des vacances parlementaires.
Les sénateurs écologistes défendaient une loi obligeant les communes à mettre à disposition gratuitement des points d’eau potable, des toilettes et des douches publiques, pour que l’accès à l’eau soit effectif pour les plus pauvres. Elle créait aussi un « chèque eau », une aide d’État préventive pour que les personnes à faibles ressources puissent s’acquitter de leurs factures.
Soutenue par le gouvernement, cette loi avait été votée le 14 juin à l’Assemblée. Il fallait qu’elle soit votée sans modification pour être définitivement adoptée. Mais le groupe LR a déposé des amendements de suppression sur chaque article, adoptés les uns après les autres. « Il s’est cantonné à une opposition de principe, sans faire de proposition concrète de modification, en rejetant purement et simplement les articles de la proposition de loi », regrette Sandra Métayer, coordinatrice de la Coalition eau, qui travaille avec la fondation France libertés sur ce dossier.
« Le vrai problème, c’est le gouvernement »
Une lourde responsabilité incombe aussi aux centristes (UDI-UC et RDSE). Leur abstention avait permis l’adoption du texte en commission de développement durable du Sénat le 8 février. Mais ils ont finalement choisi de s’y opposer, en appui des sénateurs LR.
Le vrai problème, c’est le gouvernement, pointe également, amer, Emmanuel Poilane, directeur de France Libertés. Il a tout fait pour que ce texte n’avance pas. Alain Vidalies [secrétaire d’État aux Transports et à la Mer, favorable à cette loi] était en minorité au ministère de l’Environnement. Nous avons dû nous battre comme des morts de faim pour faire avancer ce dossier à l’Assemblée.
Le débat a finalement été interrompu, car le temps imparti à la « niche écologiste », utilisée pour ce texte, était écoulé.
La proposition de loi pourra être à nouveau inscrite à l’agenda du Sénat, en juin, dans le cadre de la prochaine législature. D’ici là, les cartes auront été rebattues à l’Assemblée. Et l’opposition des parlementaires LR pourrait être difficile à surmonter. « Leur attitude a été hallucinante, réagit Emmanuel Poilane. C’était une proposition de loi non partisane et assez consensuelle. Ils l’ont explosée avec une violence incroyable. »
« Déresponsabiliser nos concitoyens »
Selon eux, ce texte imposerait aux collectivités locales de nouvelles contraintes. Ce droit était pourtant, « non normatif » et « non opposable », ont martelé ses défenseurs, hier au Sénat. Quant au « chèque eau », qui pourrait aider les 2 millions de Français dont la facture d’eau excède 3 % de leur revenu, il semble avoir été torpillé des raisons plus idéologiques : il « risque de faire croire que l’eau est un bien sans valeur », lançait ainsi Jean-François Longeot, sénateur démocrate, lors du débat au Sénat ce mercredi. Ou encore, il va « déresponsabiliser nos concitoyens, sur le plan économique comme sur le plan écologique, en décourageant les comportements vertueux », abondait Rémy Pointereau, sénateur LR. Une haute idée de leurs « concitoyens »…
Et pourtant, Nicolas Sarkozy avait soutenu, en juillet 2010, une résolution pour le droit à l’eau à l’Assemblée générale de l’ONU. Depuis, la France n’a rien fait pour rendre cet engagement effectif.
« Il n’y a jamais eu autant de gens en précarité en France et les sénateurs le nient, s’offusque Emmanuel Poilane. Je trouve cela terrifiant. »