La France : un amour perdu ?
Pascal Boniface analyse le processus de détérioration de l’image de notre pays dans le monde.
dans l’hebdo N° 1439 Acheter ce numéro
Que le titre du dernier livre de Pascal Boniface résonne avec la célèbre chanson de Léo Ferré n’est pas un hasard. Hélas, la petite musique qu’analyse le directeur de l’Iris dans Je t’aimais bien tu sais est loin d’être aussi douce. À raison, il s’inquiète que l’image de la France dans le monde arabe se soit sérieusement écornée ces quinze dernières années. Après avoir incarné la vitrine du multiculturalisme grâce à la victoire de son équipe « black, blanc, beur » en 1998 (photo), puis au refus de la guerre en Irak en 2003, le pays passe aujourd’hui « pour le plus islamophobe des pays occidentaux, du Maroc au Pakistan ». Comment expliquer ce retournement désastreux ?
« Si l’évolution de notre politique extérieure n’y est pas étrangère, ce sont surtout nos débats internes qui y ont contribué », répond le géopolitologue, qui commence par décrypter le basculement de notre politique étrangère du gaullo-mitterrandisme dans l’atlantisme. Cet infléchissement – qui culmine avec notre réintégration dans le commandement intégré de l’Otan sous Nicolas Sarkozy – s’accompagne d’un abandon de la politique dite « arabe » menée par le Quai d’Orsay depuis de Gaulle. Le mandat de Sarkozy fait perdre à la France l’image positive qu’elle avait su conserver sous son prédécesseur. L’auteur rappelle l’éclat très médiatisé de Jacques Chirac à Jérusalem-Est en 1994. Alors en visite officielle, le président français se fâche contre les services de sécurité israéliens qui tentent de l’empêcher d’aller au contact des Palestiniens. Pascal Boniface souligne l’impact positif du coup de gueule chiraquien : « Voir un civil engueuler un soldat israélien et lui tenir tête était une revanche par procuration d’une valeur inestimable. »
Malheureusement, si notre capital sympathie s’amoindrit sous la présidence de Sarkozy, c’est pire encore sous celle de François Hollande. Le directeur de l’Iris incrimine nos irresponsables politiques ainsi qu’une certaine bulle médiatique, qu’il accuse de s’être emballée jusqu’au racisme. Au chapitre « Les musulmans ont mauvaise presse », il compare la dérive antimusulmane du Figaro, de Valeurs actuelles, de L’Express, du Point et de Marianne avec la réaction que cette attitude suscite dans la presse étrangère. Quand Marianne se laisse aller à un énième « L’islam fait peur », Die Tageszeitung, quotidien allemand, se navre : « L’expression de la paranoïa antimusulmans est le symbole de l’échec de la laïcité française. » Nous voilà tout près du débat sur la laïcité – et de la présidentielle. Car le livre de Boniface est aussi une interpellation des candidats, auxquels il rappelle cette redoutable interaction : « Les attentats stimulent l’islamophobie, et l’islamophobie élargit le champ des possibles pour le terrorisme. » On convient aisément de la première proposition ; beaucoup plus difficilement de la seconde.
Je t’aimais bien tu sais. Le monde et la France : le désamour ?, Pascal Boniface, Éd. Max Milo, 151 p., 16 euros.