La France : un amour perdu ?

Pascal Boniface analyse le processus de détérioration de l’image de notre pays dans le monde.

Judith Perrin  • 1 février 2017 abonné·es
La France : un amour perdu ?
© Photo : leemage/AFP

Que le titre du dernier livre de Pascal Boniface résonne avec la célèbre chanson de Léo Ferré n’est pas un hasard. Hélas, la petite musique qu’analyse le directeur de l’Iris dans Je t’aimais bien tu sais est loin d’être aussi douce. À raison, il s’inquiète que l’image de la France dans le monde arabe se soit sérieusement écornée ces quinze dernières années. Après avoir incarné la vitrine du multiculturalisme grâce à la victoire de son équipe « black, blanc, beur » en 1998 (photo), puis au refus de la guerre en Irak en 2003, le pays passe aujourd’hui « pour le plus islamophobe des pays occidentaux, du Maroc au Pakistan ». Comment expliquer ce retournement désastreux ?

« Si l’évolution de notre politique extérieure n’y est pas étrangère, ce sont surtout nos débats internes qui y ont contribué », répond le géopolitologue, qui commence par décrypter le basculement de notre politique étrangère du gaullo-mitterrandisme dans l’atlantisme. Cet infléchissement – qui culmine avec notre réintégration dans le commandement intégré de l’Otan sous Nicolas Sarkozy – s’accompagne d’un abandon de la politique dite « arabe » menée par le Quai d’Orsay depuis de Gaulle. Le mandat de Sarkozy fait perdre à la France l’image positive qu’elle avait su conserver sous son prédécesseur. L’auteur rappelle l’éclat très médiatisé de Jacques Chirac à Jérusalem-Est en 1994. Alors en visite officielle, le président français se fâche contre les services de sécurité israéliens qui tentent de l’empêcher d’aller au contact des Palestiniens. Pascal Boniface souligne l’impact positif du coup de gueule chiraquien : « Voir un civil engueuler un soldat israélien et lui tenir tête était une revanche par procuration d’une valeur inestimable. »

Malheureusement, si notre capital sympathie s’amoindrit sous la présidence de Sarkozy, c’est pire encore sous celle de François Hollande. Le directeur de l’Iris incrimine nos irresponsables politiques ainsi qu’une certaine bulle médiatique, qu’il accuse de s’être emballée jusqu’au racisme. Au chapitre « Les musulmans ont mauvaise presse », il compare la dérive antimusulmane du Figaro, de Valeurs actuelles, de L’Express, du Point et de Marianne avec la réaction que cette attitude suscite dans la presse étrangère. Quand Marianne se laisse aller à un énième « L’islam fait peur », Die Tageszeitung, quotidien allemand, se navre : « L’expression de la paranoïa antimusulmans est le symbole de l’échec de la laïcité française. » Nous voilà tout près du débat sur la laïcité – et de la présidentielle. Car le livre de Boniface est aussi une interpellation des candidats, auxquels il rappelle cette redoutable interaction : « Les attentats stimulent l’islamophobie, et l’islamophobie élargit le champ des possibles pour le terrorisme. » On convient aisément de la première proposition ; beaucoup plus difficilement de la seconde.

Je t’aimais bien tu sais. Le monde et la France : le désamour ?, Pascal Boniface, Éd. Max Milo, 151 p., 16 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »
Entretien 20 novembre 2024 abonné·es

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »

Pour Politis, l’ancien secrétaire général de la CGT revient sur le climat social actuel, critique sévèrement le pouvoir en place et exhorte les organisations syndicales à mieux s’adapter aux réalités du monde du travail.
Par Pierre Jacquemain
Thiaroye, un massacre colonial
Histoire 20 novembre 2024 abonné·es

Thiaroye, un massacre colonial

Quatre-vingt ans après le massacre par l’armée française de plusieurs centaines de tirailleurs africains près de Dakar, l’historienne Armelle Mabon a retracé la dynamique et les circonstances de ce crime odieux. Et le long combat mené pour briser un déni d’État aberrant.
Par Olivier Doubre
L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes
Intersections 19 novembre 2024

L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes

La comédienne Juliette Smadja, s’interroge sur la manière dont les combats intersectionnels sont construits et s’ils permettent une plus grande visibilité des personnes concernées.
Par Juliette Smadja
États-Unis, ramène la joie !
Intersections 13 novembre 2024

États-Unis, ramène la joie !

La philosophe, professeure à l’université Paris VIII et à la New-York University, revient sur les élections aux Etats-Unis et examine l’itinéraire de la joie dans un contexte réactionnaire : après avoir fui le camp démocrate, c’est désormais une émotion partagée par des millions d’électeurs républicains.
Par Nadia Yala Kisukidi