L’ardoise magique de François Fillon
En quelques mots de contrition, Fillon le martyr a expulsé le diable corrupteur de sa campagne électorale.
dans l’hebdo N° 1440 Acheter ce numéro
Ainsi, la France est ce pays où un candidat à la présidence de la République soupçonné d’avoir très grassement rémunéré son épouse pour un emploi fictif peut venir devant les journalistes présenter sommairement ses excuses, décider de lui-même que ce qu’il a fait est légal, puis s’en prendre pêle-mêle – et avec quelle violence ! – à la gauche, à la presse, à la justice, et recevoir aussitôt une sorte d’absolution médiatique. Car le problème, ce n’est pas tant que François Fillon se défende comme il peut, avec une mauvaise foi assez peu chrétienne, c’est qu’il se trouve des commentateurs – toujours à peu près les mêmes – pour applaudir la performance et accorder leur onction (voir l’article de Michel Soudais en p. 4 : il cite des noms…). Et des élus de la République, ses « amis », de gré ou de force, pour laisser échapper un lâche soulagement : « François a été convaincant, il est notre patron. » Hourra !
Nous avons assisté lundi soir à une séance d’exorcisme collectif. En quelques mots de contrition, Fillon le martyr a expulsé le diable corrupteur de sa campagne électorale. Et les fidèles, qui la veille encore dressaient le bûcher, se sont prosternés à ses pieds. Un étrange spectacle pour le mécréant que je suis. Car, au fond, rien n’avait été dit. Aucune preuve n’avait été apportée de la réalité de l’emploi de Penelope. Mais tout semblait balayé des innombrables témoignages qui contredisaient les affirmations du candidat. Le pénitent s’est même permis sans dommage d’ajouter un pieux mensonge à sa collection quand il a affirmé que la journaliste du Sunday Telegraph qui avait recueilli les aveux de Penelope (« Je n’ai jamais été l’assistante de mon mari ») avait apporté son soutien à Mme Fillon. Un propos aussitôt démenti par la journaliste. Mais qu’importe ! Tout glisse.
L’épisode en dit long sur les processus de fabrication de l’opinion. Nul n’ignore que rien n’a été dit de substantiel au cours de cette étrange conférence de presse, mais côté politique, trop d’intérêts sont en jeu, et les « amis » de M. Fillon avaient fait le constat au cours du week-end qu’il n’y avait pas de « plan B ». Alors, à la guerre comme à la guerre ! Les commentateurs, eux, ont d’autres critères. Seule leur importe l’illusion que la communication produira sur nos concitoyens. C’est un perpétuel second degré. On ne juge pas de la réalité, mais de l’efficacité du mensonge. Ce qu’on appelle le cynisme. Quant aux rémunérations évoquées, elles ne semblent troubler personne. On est dans un petit monde familier de ces sommes, et peuplé d’une élite convaincue que l’inégalité est la loi de nature. On peut donc s’enrichir sans retenue tout en exigeant des autres les sacrifices les plus douloureux.
Derrière le tumulte électoral qui agite notre pays, et la rumeur qui accompagne le discours pathétique d’un drôle de paroissien, on n’a guère prêté attention ces jours-ci au sommet européen de La Valette, à Malte. En tendant bien l’oreille, il s’y est pourtant dit des choses intéressantes. Il était temps ! Angela Merkel y a plaidé pour une « Europe à deux vitesses ». Encore faut-il préciser que cet accès de lucidité doit davantage à des événements extérieurs qu’au courage des dirigeants européens. Les menaces du dynamiteur Donald Trump, le Brexit, la tragédie sans fin des migrants, l’onde de choc sécuritaire des conflits en Syrie et en Libye, le mouvement centrifuge de certains pays d’Europe de l’Est : autant de bonnes raisons de faire « quelque chose » pour sauver l’Europe. Il faut y ajouter fortuitement un anniversaire qui devrait faire réfléchir. Cela faisait vingt-cinq ans, le 7 février, que les douze pays qui composaient à l’époque l’Union ratifiaient le fameux traité de Maastricht. À Politis, nous en avions aussitôt dénoncé les nombreux défauts. Tandis que les socialistes nous berçaient de l’illusion d’une Europe qui nous protégerait des guerres. Entre les fameux critères visant à limiter le déficit public et la création huit ans plus tard de la monnaie unique, un système se mettait en place qui allait prendre les peuples en étau. D’un côté, la contrainte budgétaire ; de l’autre, l’impossibilité d’agir à l’échelle nationale sur les taux de change. Dans ces conditions, l’emploi, les salaires et les dépenses sociales allaient devenir les seules variables d’ajustement.
Et le système a eu fatalement une autre conséquence. Il a poussé les pays européens dans une concurrence féroce pour desserrer la pression sociale aux dépens du voisin. Ainsi, ce qui nous était vendu comme une garantie d’intégration politique par la double contrainte budgétaire et monétaire conduisit à l’exact opposé. Sans compter que l’extension aveugle de l’Union aux pays d’Europe de l’Est aggrava la situation. L’ennui, c’est que l’on nous a toujours présenté l’échec social de l’Europe comme le résultat d’une succession d’erreurs.
Alors, « Europe à deux vitesses » ? Pourquoi pas ? Mais ça ne nous dit rien du fond. Car rien ne se fera dans le cadre des traités actuels. Et rien sans une harmonisation sociale par le haut qui ne sera jamais le résultat des contraintes budgétaires et monétaires. Si l’Europe n’est surtout pas sociale, c’est qu’elle a été conçue pour ne pas l’être. Finalement, il existe un point commun entre les principes qui ont présidé au traité de Maastricht et la belle philosophie inégalitaire et légèrement méprisante qui anime François Fillon ? Le libéralisme.
Notez bien notre prochain rendez-vous « 2017 en débats » : le 23 février, à 19 heures, au Lieu-dit, à Paris. Notre invité sera Roger Martelli, et le thème : « L’identité ».
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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