« Le Concours », Claire Simon : L’image et le filtre

Dans Le Concours, Claire Simon filme la manière dont la Fémis sélectionne ses élèves. Un documentaire qui reste à la surface des choses.

Christophe Kantcheff  • 8 février 2017 abonnés
« Le Concours », Claire Simon : L’image et le filtre
© 2016 - Andolfi

Le lieu fait rêver : la Fémis, l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, à Paris. Promesse de cinéma, d’inscrire sa vie dans un monde a priori inaccessible, de réaliser des films. Dans les premières images du Concours, voilà vraisemblablement ce qu’il y a dans la tête des candidats qui affluent vers l’entrée de la Fémis.

Claire Simon s’est attelée à filmer ce rite annuel qu’est le concours d’entrée de cette école. Trois étapes le constituent, qui forment autant d’obstacles à franchir. D’abord, une première épreuve écrite, qui rassemble la totalité des candidats sans sélection préalable. Puis une conversation avec des professionnels s’appuyant sur des travaux effectués, en fonction des spécialités choisies (réalisation, scénario, production…). Enfin, un grand oral confrontant les candidats à plusieurs jurés.

Claire Simon n’a pas choisi de suivre le parcours de candidats en particulier, qui se seraient dès lors transformés en protagonistes principaux. Elle a préféré prélever des moments çà et là lors de ces trois étapes successives.

La première est impressionnante, avec 1 200 postulants rassemblés dans un grand amphi. L’image d’une génération prétendant entrer dans une école à l’aura puissante qui, la lumière s’éteignant pour laisser place, sur un grand écran, à un extrait que les candidats devront commenter, est elle-même éclairée par la lueur du film projeté. Cet instant capté d’interpénétration entre cinéma et candidats est le seul temps de grâce de ce film qui s’avère, à l’arrivée, plutôt gênant.

Car Le Concours n’est pas dénué d’une intention jamais explicite, bien que de plus en plus sensible. « Tous égaux, mais seuls les meilleurs… », annonce l’affiche. En creux, le film interroge cette notion de « meilleurs », c’est-à-dire les critères de sélection sur lesquels s’appuie l’école. Dans la filière « scénario », on voit par exemple les trois examinateurs se gausser a posteriori de la prestation d’un candidat ayant inventé des personnages aux liens familiaux trop compliqués. Ailleurs, c’est une prétendante qui déclare vouloir se servir du cinéma pour contrer la désinformation sévissant à propos de son pays africain d’origine et qui sèche lorsqu’on lui demande les films qu’elle aime.

Le plus manifeste, c’est la défiance des différents jurés (des professionnels du cinéma), en particulier lors du grand oral, envers tout candidat aux particularités « anormales » : une façon de se comporter ou de développer son projet avec des obscurités, un manque flagrant d’assurance, ou, au contraire, une trop grande ostentation.

La photo finale des soixante candidats retenus frappe par l’uniformité de la couleur de peau. CQFD. La Fémis n’est pas ouverte à la diversité et, comme toutes les grandes écoles, elle assure la reproduction des élites. Mais le film ne fait rien de ce constat que l’on connaît depuis Bourdieu. Quid, plus précisément, des candidats issus de milieux populaires ? Quelle est la spécificité de la sélection opérée par la Fémis, comparée, par exemple, à celle de l’École normale supérieure ? Quelle réflexion l’école mène-t-elle sur ce sujet ?

Quand Fred Wiseman s’intéresse à l’université de Berkeley, il en capte tous les aspects, sans pour autant verser dans un pesant didactisme. Dans Le Concours, la caméra reste à la superficie des choses, ne retenant que le plus voyant : les inclinations psychologiques des jurés, qui témoignent des contraintes et des normes qu’ils ont intégrées. D’où une certaine cruauté dans le regard de la cinéaste, quand, par exemple, elle laisse au montage cette parole prononcée avec ironie par l’une des examinatrices : « Il va falloir prendre des Noirs, des Arabes et des pauvres… »

Ex-directrice du département « réalisation » de la Fémis, Claire Simon aurait pu tout aussi bien être à la place des jurés figurant dans son film. Peut-être Le Concours témoigne-t-il aussi de sa mauvaise conscience…

Le Concours, Claire Simon, 1 h 59.

Cinéma
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