« Le programme de Trump rappelle celui d’Hitler de 1934 à 1937 »

L’économiste états-unien Gerald Epstein met en garde contre l’illusion sociale que répand le nouveau président américain.

Dominique Plihon  • 8 février 2017 abonnés
« Le programme de Trump rappelle celui d’Hitler de 1934 à 1937 »
© Photo : George Frey/Getty Images/AFP

Le programme économique de Donald Trump a pu séduire non seulement l’Amérique blanche du Middle West et du Sud, mais aussi les travailleurs de la rust belt (la « ceinture de la rouille ») du Nord-Est, ainsi nommée depuis la fermeture massive des usines. Gerald Epstein analyse ici les contradictions et la dangerosité de ce programme. Auteur de nombreux articles sur la crise financière et la dérégulation, Gerald Epstein est interrogé pour Politis par Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d’Attac et chroniqueur de notre hebdomadaire, qui a également assuré la traduction.

Les économistes progressistes et keynésiens en Europe recommandent des politiques d’investissements publics. Est-ce que le vaste programme en ce sens promis par Donald Trump améliorera les conditions de vie des citoyens états-uniens ?

Gerald Epstein : Non. Comme beaucoup de mesures proposées par Trump, il y a une grande part d’écran de fumée. Le nouveau Président a annoncé un plan d’infrastructures de 1 000 milliards de dollars, mais celui-ci se ramènera en réalité à des réductions d’impôts au profit des investisseurs privés, peut-être de 200 milliards de dollars. Ce plan prendra également la forme de partenariats public-privé et d’opérations de privatisation. Celles-ci concerneront en particulier les autoroutes, pour le plus grand profit des investisseurs, alors que l’État et les contribuables continueront d’en assumer les principaux risques. La politique de Trump sera donc très différente des programmes d’investissements publics proposés par les économistes européens.

L’accroissement des dépenses publiques et les réductions d’impôts promis par Trump auront-ils un effet stimulant à long terme sur l’activité et l’emploi ?

Le programme d’infrastructures créera des emplois à court terme mais beaucoup moins qu’un véritable programme d’investissements publics. En premier lieu, comme je l’ai déjà indiqué, la dimension du programme sera beaucoup plus faible que les 1 000 milliards annoncés. Ensuite, les effets multiplicateurs des baisses d’impôts sur les revenus et l’emploi sont moins élevés que ceux des investissements publics. Enfin, les dépenses réalisées à cette occasion par les investisseurs privés vont se substituer à des investissements initialement prévus, réduisant l’effet stimulant des mesures décidées.

Mais il y a d’autres raisons de penser que le programme de Donald Trump n’aura pas les effets positifs annoncés. La première est l’orientation antitravail et antisyndicale de son administration. Tout sera fait pour ne pas recruter des travailleurs syndiqués pour des emplois correctement rémunérés. Ensuite, il est plus que probable que les projets choisis engendreront un regain de corruption, caractéristique des pratiques de Trump.

De plus, il faut s’attendre à ce qu’une part importante des nouvelles dépenses publiques soit consacrée à développer l’armement des États-Unis, avec des effets certes positifs sur l’emploi à court terme, mais pas à long terme, car ces dépenses n’accroîtront pas la capacité productive du pays. Comme l’ensemble de ces dépenses va fortement gonfler le déficit public, il est à craindre que la majorité républicaine au Congrès en profite pour voter une réduction des dépenses sociales et de santé.

Quels seront les effets des « Trumponomics » sur la distribution des revenus et des richesses aux États-Unis ?

Il faut s’attendre à ce que les politiques mises en œuvre contribuent à aggraver les inégalités. Les réductions d’impôts profiteront aux plus riches, tandis que, pour les raisons déjà indiquées, les populations les plus fragiles auront un accès plus difficile à la couverture sociale et à la santé.

Quelles pourraient être les conséquences sur le climat ?

L’administration Trump représente un véritable désastre pour le climat et la planète. Le président américain a affirmé ne pas croire que le réchauffement climatique soit le résultat de l’activité humaine. Ses principales nominations aux postes clés concernent des défenseurs des énergies fossiles. Ce qui reflète l’influence des millionnaires qui financent les campagnes des élus républicains. L’un d’entre eux est Rex Tillerson, qui a été président d’Exxon et se retrouve maintenant secrétaire d’État [ministre des Affaires étrangères, NDLR]. De ce point de vue, on peut dire que nous avons un gouvernement contrôlé par le lobby des énergies fossiles ! Il est donc peu probable que les dépenses d’infrastructures promises auront pour objectif de favoriser le recours aux énergies renouvelables non carbonées en vue de réduire l’empreinte écologique des États-Unis.

Le « big business » n’aime pas le protectionnisme. Trump parviendra-t-il à imposer sa politique protectionniste aux entreprises multinationales états-uniennes ?

Je ne le crois pas. La classe capitaliste états-unienne est en effet trop multinationaliste dans ses convictions. Donald Trump n’arrivera pas à imposer une véritable politique protectionniste au Congrès. Il perdrait le soutien de sa majorité républicaine s’il le faisait.

La structure de l’économie américaine est beaucoup trop internationale pour survivre au protectionnisme. Mais on peut s’attendre à ce que Trump prenne des mesures largement symboliques dans ce domaine, en incitant les patrons des grandes entreprises à ne pas délocaliser en contrepartie de baisses d’impôts, en prétendant renégocier l’accord de libre-échange Tafta avec l’Union européenne et en déclarant une guerre commerciale au Mexique.

Trump a fait campagne contre Wall Street. Va-t-il mettre au pas la finance ?

Dès le début de la crise financière, les Républicains ont essayé de limiter le renforcement de la régulation financière. De fait, ceux-ci obtiennent des millions de dollars de Wall Street pour financer leurs campagnes. Les nominations de Trump sont sans équivoque : le secrétaire d’État au Trésor et ses principaux conseillers sont issus de Goldman Sachs et de fonds spéculatifs ! Il a déjà pris des décrets pour défaire le Dodd-Frank Act, loi votée sous l’administration Obama pour réguler le système financier des États-Unis. Il a engagé un bras de fer avec Janet Yellen, la présidente de la FED – la banque centrale états-unienne –, qui souhaite continuer à superviser les banques. Nous allons assister à un conflit sur l’indépendance de la FED comme on n’en aura jamais vu depuis les années 1930.

N’y a-t-il pas de profondes incohérences dans la doctrine Trump ?

Les incohérences sont nombreuses. On peut les diviser en contradictions politiques, d’une part, et économiques, de l’autre. Il y a deux principales incohérences politiques. La première est la déconnexion entre les promesses économiques de Trump et les politiques qu’il s’apprête à mener effectivement. La seconde est l’écart politique entre sa rhétorique nationaliste et la nature multinationale du cœur du capitalisme états-unien. Ces deux questions sont liées, bien sûr.

Concernant la première contradiction politique, Trump n’a pas proposé de solution économique, à l’exception peut-être des politiques d’infrastructures, qui profiteront à ses électeurs de la classe ouvrière dans la mesure où elles créeront des emplois à court terme. Mais il n’y aura pas d’amélioration durable de la situation des travailleurs. Trump s’oppose à la hausse du salaire minimum et il va réduire l’assurance-maladie des travailleurs. Ce qu’il offrira à ses électeurs de la classe ouvrière se résumera surtout à des actes symboliques tels que l’insulte et la haine à l’égard des immigrants, des musulmans et des Mexicains.

L’autre incohérence provient de ce qu’il a promis à ses supporters de la classe ouvrière d’empêcher les entreprises multinationales de continuer à détruire leurs emplois. Mais ses alliés de la classe capitaliste veulent au contraire continuer à supprimer des emplois sur le sol états-unien. Cette opposition sera en partie résolue par la hausse des dépenses militaires, qui contribueront à limiter les baisses d’emploi, mais c’est une voie improductive et dangereuse.

Du côté des contradictions économiques, la principale concerne l’instabilité financière qui résultera des politiques menées par Trump. L’allégement de la régulation financière, les attaques contre les autorités monétaires en charge de la supervision bancaire et la montée des déficits publics vont créer un climat d’incertitude propice aux attaques spéculatives à Wall Street et contre le dollar. Là se trouve peut-être le talon d’Achille des « Trumponomics ».

Voyez-vous des ressemblances entre le programme économique de Trump et les politiques populistes d’extrême droite menées pendant les années 1930 ?

Oui, tout à fait. Le discours nationaliste et xénophobe, combiné au réarmement militaire et aux politiques destinées à accroître les emplois des classes populaires et à diminuer les impôts des classes supérieures, a pour objectif de renforcer le pouvoir du régime politique de Donald Trump, qui est fondamentalement autoritaire. Les effets économiques positifs de sa politique seront de courte durée, mais ils seront suffisants pour lui permettre d’affaiblir ses adversaires et de rendre difficile toute forme d’opposition démocratique. Le programme économique de Trump n’est pas sans rappeler la politique du Dr Schacht, ministre de l’Économie d’Hitler de 1934 à 1937.

Il est essentiel que le camp progressiste voie ces politiques pour ce qu’elles sont : un moyen d’accroître le pouvoir et la richesse de la classe capitaliste, tout en obtenant le soutien de la classe des travailleurs en prétendant la défendre par des politiques xénophobes et des promesses de créations d’emploi.

Gerald Epstein Professeur à l’université du Massachusetts.

Monde
Publié dans le dossier
Trump : Déjà un mois de violence
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