Le travail productif, c’est l’emploi

L’emploi est le cadre institutionnel dans lequel le travail productif est effectué. Il n’y a rien au-delà.

Jean-Marie Harribey  • 8 février 2017 abonnés
Le travail productif, c’est l’emploi
© photo : PHILIPPE HUGUEN / AFP

Dans le débat sur le revenu universel, il y a un argument qui revient souvent : le travail se raréfie à cause de la révolution numérique, mais il existe un « au-delà de l’emploi », dans lequel se nichent des réserves de travail permettant de résoudre le chômage autrement qu’en cherchant désespérément à créer des emplois. Le salariat avec ses droits serait d’un autre siècle et le plein emploi, hors d’atteinte, devrait être remplacé par la pleine activité. La contradiction éclate quand on entend tout et son contraire : « Il y a de moins en moins de travail » et « Ce n’est pas le travail qui manque ».

L’être humain partage son temps de vie entre des activités libres (relations, loisirs, farniente, sommeil) et des activités de travail. Ces dernières s’effectuent très majoritairement dans un cadre social où le travail est productif de valeur économique mesurée monétairement, mais une petite partie continue heureusement à exister en dehors, notamment le dit travail domestique et le bénévolat. Le travail productif de valeur (et pas seulement de valeur d’usage) effectué par la population dite active correspond exactement à l’emploi sous ses deux formes : salarié et indépendant. L’emploi est donc le cadre institutionnel dans lequel le travail productif est effectué.

Il n’y a rien au-delà du travail-emploi, sauf à décider que ce qui échappe à la logique de l’économie et de la comptabilité monétaire doit y entrer de force, ou à favoriser une zone grise où du faux travail indépendant ubérisé se développerait. L’au-delà qui serait projeté ne serait alors que l’au-delà des droits sociaux, c’est-à-dire leur négation.

Certains voient dans l’autonomie, l’économie collaborative ou l’auto-entrepreneuriat des sources de nouvelles richesses qui rendraient obsolètes les catégories économiques héritées du capitalisme. Or, d’une part, il existe déjà un large pan de l’économie où la valeur ajoutée déborde celle du champ capitaliste : c’est le fait du travail validé par la collectivité dans les administrations publiques non marchandes ou les associations qui procurent des services. D’autre part, le mode de production chez les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), Blablacar et Airbnb est capitaliste : ils vendent ou louent les instruments qu’ils se sont appropriés (foncier, données…) et ils jouissent souvent d’un tel monopole qu’ils captent des rentes, c’est-à-dire de la valeur produite ailleurs. Enfin, dans l’économie sociale et solidaire, le modèle économique reste celui de la marchandise, donc de la production de valeur issue du travail, et non pas jaillissant d’un monde merveilleux où le statut de bien commun créerait de son seul fait une génération spontanée de valeur économique.

Face au chômage, l’idée germe de taxer les robots, au risque de brider l’investissement. Mais s’ils servaient d’assiette du calcul de la taxe, celle-ci resterait prélevée sur la valeur ajoutée par le travail. Il n’y a rien au-delà. Au lieu de nier la place du travail dans nos vies, tant philosophiquement qu’économiquement, réduisons-en la durée en devenant économes de nos forces et des ressources naturelles. La bonne nouvelle est que, si on produit en respectant le social et l’écologie, il faudra plus de travail globalement, mais moins pour chacun.

Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac

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