Les élus corrompus aux petits oignons
Un amendement de loi a été discrètement glissé qui indigne les associations anticorruption.
dans l’hebdo N° 1442 Acheter ce numéro
« La fin des privilèges ». C’est ce que demandaient les milliers de personnes, ce dimanche 19 février, rassemblées dans plusieurs grandes villes de France pour lutter contre la corruption des élus. Sur Facebook, Vincent Galtier, simple citoyen, est à l’origine de ce mouvement. Place de la République, à Paris, où près de 3 000 personnes étaient réunies, il a assuré que « la massification du mouvement [était] nécessaire », avant d’annoncer un futur événement le week-end du 26 février. Un ras-le-bol général s’est exprimé, et il n’est pas près de s’arrêter. En Roumanie, les manifestants, qui étaient 500 000 dans tout le pays, il y a encore deux semaines, ont eu raison du ministre de la Justice et du décret qui visait à affaiblir la lutte contre la corruption. Ils craignent maintenant un tour de passe-passe à l’Assemblée, laquelle devra débattre du texte.
Ce décret fallacieux trouve un écho en France, où un amendement a été discrètement glissé par le sénateur François-Noël Buffet (LR) dans la proposition de loi adoptée le 16 février sur les délais de prescription en matière pénale. Cette « mesure dérogatoire » concerne les « infractions occultes » ou « dissimulées », tels que les détournements de fonds, les abus de biens sociaux ou les délits financiers, et leur confère un régime juridique particulier.
Auparavant, eu égard à la complexité de ces affaires et à la difficulté de rassembler des preuves, le délai de prescription, de 6 ans, courait à partir de la découverte des faits. Désormais, ce délai passe à 12 années, mais comme l’explique Éric Alt, magistrat et vice-président d’Anticor, « au dernier moment, le législateur a fait courir la prescription à compter du jour où l’infraction a été commise ».
Pour cette association de lutte contre la corruption, qui a participé aux débats initiaux de la proposition de loi, il s’agit là d’un élément déterminant pour des infractions souvent découvertes a posteriori. Selon Éric Alt, « cet amendement peut avoir des effets dramatiques et créer une bulle d’opacité, voire d’impunité. Alors que le texte initial était le fruit d’un travail de longue date, ce rajout est venu in extremis, et sans discussion », explique-t-il, regrettant le « manque de courage des politiques à s’auto-discipliner ».
Dans un communiqué intitulé « Réforme de la prescription pénale : le diable est dans les détails », Anticor n’est pas sans préciser que dans l’affaire Fillon, la justice « s’intéresse à des infractions dissimulées commises il y a plus de douze ans ». Avec la nouvelle législation, impossible donc pour les enquêteurs de remonter aussi loin.