« Les Fleurs bleues », d’Andrej Wajda : Voir ou ne pas voir Staline en peinture

Avec _Les Fleurs bleues_, Andrej Wajda, disparu à l’automne dernier, livre le portrait douloureux d’un peintre pris dans la nasse soviétique.

Jean-Claude Renard  • 22 février 2017 abonné·es
« Les Fleurs bleues », d’Andrej Wajda : Voir ou ne pas voir Staline en peinture
© Photo : Anna Wloch/AKSON STUDIO

Fin des années 1940. Dans l’atelier-appartement d’un peintre, assis par terre devant sa toile de lin et son assiette en guise de palette, résonnent les échos du 1er Congrès du Parti ouvrier unifié polonais. Brusquement, un gigantesque portrait de Staline aux couleurs rouge vif vient boucher la lumière de l’appartement. Il se relève péniblement, sur sa seule jambe et, d’un coup de béquille, en colère, déchire l’effigie du père des peuples. Il est aussitôt embarqué par la police.

Wladyslaw Strzeminski, né en 1893, pionnier de l’avant-garde constructiviste, enseignant à l’École supérieure des arts plastiques de Lodz et maître de conférences en histoire de l’art, prônant un formalisme pur, est sommé de se plier au réalisme socialiste. Déjà bien installé, exposé, adulé par ses élèves, il n’en fera qu’à sa tête. Bien vite, il est exclu de son école, rayé de la Maison des artistes, privé de ses bons d’alimentation…

Cette scène d’ouverture, avec cet artiste empêché de peindre parce qu’on lui condamne la lumière venant de sa fenêtre, donne le ton des Fleurs bleues. Entre ostracisme et bannissement, c’est une déchéance, une persécution cruelle et implacable que filme Andrej Wajda, puisant la matière de son œuvre dans la fin tragique (et bien réelle) de Strzeminski (interprété sobrement par Boguslaw Linda), écrasé par un régime totalitaire. Soignant ses plans comme un tableau, où se déploient toujours un jeu de lumières et une harmonie des couleurs, en empathie avec son personnage, dans un style toujours académique, Andrej Wajda avance son récit en petites touches.

C’est subtilement qu’on apprend l’itinéraire d’un homme mû par l’obsession du regard, estropié durant la Grande Guerre, assistant de Malevitch, à l’initiative des « a.r. », les « artistes révolutionnaires », bouleversé par le « ressenti physiologique » de Van Gogh devant un paysage, fondateur de l’école dont il sera exclu. Et si brutalement, violemment, est filmée la destruction de ses œuvres, c’est encore subtilement qu’on observe cet artiste, réduit à néant, isolé, interdit même d’acheter ses tubes de couleurs – ce qui est aussi violent que la confiscation et la destruction de ses œuvres.

De Cendres et diamant à L’Homme de marbre ou Katyn, Wajda s’était déjà attelé à des périodes dramatiques de l’histoire récente de la Pologne. Avant de se tourner vers le cinéma, lui-même avait été étudiant dans cette École supérieure des arts plastiques de Lodz. Avec Les Fleurs bleues, replongeant dans l’ère soviétique et l’asphyxie de la police d’État, juste avant de s’éteindre, à l’âge de 90 ans, c’est comme si le cinéaste avait eu le désir de boucler la boucle. La sienne, intimement liée à la Pologne.

Les Fleurs bleues, Andrej Wajda, 1 h 35.

Cinéma
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