Police : Une violence trop ordinaire

Le drame subi par Théo a réveillé la colère des habitants des quartiers populaires, et souligné l’absence de dialogue avec la police. Et les politiques alimentent le sentiment d’injustice.

Vanina Delmas  • 15 février 2017 abonné·es
Police : Une violence trop ordinaire
© Photo : Patrick KOVARIK/AFP

« Zyed, Bouna, Théo et Adama, on n’oublie pas, on ne pardonne pas », « Tout le monde déteste la police », « Pas de justice, pas de paix ». Trois slogans criés d’une seule voix par les deux mille personnes rassemblées contre les violences policières, devant le tribunal de Bobigny, samedi 11 février. Trois vérités clamées dans la profonde colère des jeunes et moins jeunes des quartiers populaires. Sur l’estrade improvisée, les prises de parole trouvent toutes un écho dans l’assemblée. Les victimes de brutalités policières sont invitées à prendre le micro pour montrer aux nombreux journalistes présents que ce n’est pas un épiphénomène. Une mère brave la foule pour raconter que son fils a été blessé au genou la veille par un tir de la police alors qu’il se rendait simplement au McDo.

La mort d’Adama Traoré lors de son interpellation par des gendarmes, cet été, avait fait renaître le sentiment collectif d’injustice. Le 2 février, Théo a été arrêté avec sauvagerie par quatre policiers. L’accusation de viol à coups de matraque a révélé l’humiliation ressentie par tout un pan d’une jeunesse qui ne croit plus à l’intégrité de la police. Mais comment apaiser les relations sans autre possibilité de communiquer qu’à l’occasion des contrôles d’identité et des interpellations ?

Une reprise de dialogue que les politiques n’encouragent pas. Le projet de loi sur la sécurité publique, qui assouplit les règles de légitime défense pour les policiers et durcit les peines pour outrage aux forces de l’ordre, est la goutte d’eau dans un vase qui déborde déjà. Cette réponse rapide aux manifestations de policiers en colère à l’automne a été approuvée à la quasi-unanimité par les députés, le 8 février (voir notre entretien avec Pouria Amirshahi). « Un texte cosmétique ajouté à un texte flou, et c’est encore la population qui en sera la victime », assène Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT-Police.

Pendant ce temps, la remise d’un récépissé à l’usager après chaque contrôle d’identité demeure une chimère malgré la proposition n° 30 de François Hollande en 2012, lequel promettait de « lutter contre le délit de faciès lors des contrôles d’identité ». Si François Fillon et Marine Le Pen ont mis toute leur énergie à dénoncer le laxisme du gouvernement, Jean-Luc Mélenchon s’engage à supprimer la politique du chiffre et à rétablir la police de proximité. Même chose pour Benoît Hamon, qui a également appelé à « ne pas confondre le geste de quelques-uns avec le travail quotidien de milliers de policiers sur le terrain ».

« Il faut absolument sortir du déni, s’insurge Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Bruno Le Roux impose son dispositif de caméra-piéton. Mais est-ce le policier qui le déclenchera ou sera-t-il automatique ? Ça change tout ! » En effet, le ministre de l’Intérieur a annoncé 2 600 caméras mobiles supplémentaires pour filmer les contrôles d’identité. Un décret au 1er mars devrait rendre le déclenchement « obligatoire », mais, pour le moment, le dispositif reste encore très flou. De plus, le chiffre semble dérisoire, comparé aux quelque 250 000 policiers et gendarmes français. Un gadget qui serait plus efficace que le récépissé, selon le ministre, pour « rassurer les forces de sécurité ». Mais qui a le plus besoin d’être rassuré ?

La police de proximité est regrettée par les habitants et les associations de quartier, qui la considéraient comme la garantie d’une confiance retrouvée. Mais pour les associations locales, la priorité reste la création d’espaces pour dialoguer. « Il faut s’apprivoiser », ose Laëtitia Nonone, fondatrice de l’association Zonzon 93, à Villepinte, qui fait de la prévention de la délinquance et de la sensibilisation à l’univers carcéral depuis déjà neuf ans. Tisser des liens est l’ambition du jeune collectif Citoyens et Policiers. Né dans un atelier de Nuit debout Toulouse, il a trouvé un écho favorable auprès de quelques policiers volontaires pour parler de leur quotidien. Après des actions lors des manifestations contre la loi travail, Sandra Pizzo et Gaëlle Van Der Maslow, les initiatrices, ont rapidement compris qu’il fallait travailler sur la crispation dans les quartiers populaires. L’affaire « Théo » les a conduites vers le mouvement La Révolution est en marche, à Aulnay-sous-Bois. Hadama Traoré (homonyme de la victime de Beaumont-sur-Oise), responsable d’une antenne jeunesse de la ville et à l’origine du mouvement, a aussitôt adhéré à leur projet. « Leur communiqué appelant à l’apaisement et au dialogue est le meilleur de tous », assure-t-il, lui qui a grandi dans le quartier des 3 000, dont est originaire Théo. Son ambition ? « Réveiller les consciences dans les villes, les quartiers et les populations. » Toute coopération est donc la bienvenue. « Nos grands frères nous ont appris que tous les flics sont pourris. Nous voulons changer ce message, et cela passe par un immense travail de fond »,poursuit-il, confiant.

Cette prise de conscience de l’être humain sous l’uniforme rend optimiste, mais l’apaisement global nécessite que la police soit assainie des ambitions carriéristes, de la politique du chiffre et de l’excès de corporatisme. « La formation des policiers est très théorique, pas continue, les manuels sont faits par des gens dans des bureaux et, comme dans l’Éducation nationale, les jeunes sont envoyés dans les zones les plus difficiles », dénonce Alexandre Langlois.

Une réalité du terrain que connaît bien Jules [1], officier de police judiciaire en région parisienne depuis huit ans. Arrivé de province après un an d’école, « le choc des cultures » a été brutal dès le premier jour, où il a en plus été confronté à une affaire de règlement de compte. « L’hostilité de la foule envers nous lors de notre arrivée sur les lieux du crime m’a marqué, se souvient-il. On s’adapte comme on peut, et c’est là que des mauvaises pratiques peuvent devenir des habitudes, car on nous apprend à intervenir, pas à communiquer. J’ai eu la chance d’avoir un encadrant qui avait connu la police de proximité mais ce n’est pas le cas de tout le monde. » Sans langue de bois, Jules atteste de la nécessité de « faire le ménage » en interne contre les responsables des bavures, excès de zèle et abus de pouvoir. Utopiste, il rêve de plus de moyens, d’effectifs, car « la police ne peut pas être gérée comme une entreprise ».

Autre problème : la police est déshumanisée. « Sous Sarkozy, on nous a imposé les contrôles automatiques ; sous Hollande, la préplainte en ligne. Tout contact humain est coupé. Or, certaines affaires sont classées sans suite à cause d’un mauvais motif de plainte, et ainsi le sentiment d’injustice est décuplé », souligne-t-il, insistant sur le fait que le code de déontologie instauré par Manuel Valls en 2014 a défiguré les missions de service public de la police.

Dans une tribune publiée dans Le Monde, le 11 février, le sociologue Laurent Mucchielli décrypte cette histoire sans fin des émeutes en banlieue : « La séquence qui se déroule ces jours-ci à Aulnay-sous-Bois constitue un classique du genre, et vient simplement nous rappeler qu’en 27 ans nous n’avons rien appris et rien changé aux problèmes sociaux et institutionnels qui génèrent régulièrement les éruptions violentes de ce type. » Même amertume pour Laëtitia Nonone. « Ce qui me fait peur, c’est ce qu’on a laissé naître dans la tête de nos jeunes. Douze ans après Zyed et Bouna, ces enfants nés en France ont déjà intégré l’idée que la justice n’est pas faite pour eux. »

[1] Il a requis l’anonymat pour respecter son devoir de réserve.

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