Trump : Des dégâts sur tous les fronts

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump gouverne les États-Unis comme s’il s’agissait d’une vulgaire république bananière.

Denis Sieffert  • 8 février 2017 abonnés
Trump : Des dégâts sur tous les fronts
© Photo : MANDEL NGAN / AFP

Un projet de mur à la frontière mexicaine, un décret de la honte contre les musulmans, des signes de connivence à l’adresse de Poutine et de Netanyahou, une fâcherie avec la Chine, un mépris affiché à l’égard des accords de Paris sur le climat, une apologie de la torture et quelques autres « babioles » de cet acabit : Donald Trump a fait très fort pour ses débuts à la Maison Blanche. Mais, après ces trois semaines à la tête de la première puissance mondiale, le plus inquiétant réside dans la concentration des pouvoirs tombés entre les mains d’une petite camarilla cimentée par une idéologie fascisante et des intérêts très privés.

Les centres de décision se résument à une poignée de personnages. Il y a là le gendre de Trump, Jared Kushner, qui a été « l’architecte » de la campagne numérique du candidat ; Michael Flynn, ancien officier du renseignement devenu lobbyiste, réputé proche de Poutine ; l’avocat Reince Priebus, apparatchik du Parti républicain, désormais secrétaire général de la Maison Blanche ; et le plus influent de tous, Steve Bannon, suprémaciste blanc, proche du Ku Klux Klan, président de Breitbart News, un média d’extrême droite.

Ceux-là ont pris de vitesse la justice et les contre-pouvoirs de la société américaine. Selon le quotidien britannique The Guardian, la purge qui a eu lieu au Département d’État dès l’arrivée de Donald Trump a permis à ce groupe de prendre des décisions sans le moindre filtre démocratique. Le décret anti-musulmans, notamment, aurait été adopté dans ces conditions. Ce qui explique la pagaille qu’il a créée dans les aéroports avant d’être, au moins provisoirement, contré par un juge fédéral. Et en attendant, peut-être, que la Cour suprême tranche ce premier conflit entre la justice et un président qui compte bien s’émanciper de toutes limites.

La vitesse, et parfois la précipitation, ainsi que la volonté de court-circuiter les institutions judiciaires ont été la marque de ces premières semaines. Depuis son entrée à la Maison Blanche, Donald Trump a signé une vingtaine de décrets ou de documents visant pour la plupart à détricoter le travail de son prédécesseur. Tout a commencé le 20 janvier par un décret incitant les agences fédérales à faire obstruction par tous les moyens – recours ou exemptions – à l’application de l’Obamacare, cette réforme de l’assurance maladie qui a été la grande œuvre de Barack Obama.

Six jours plus tard, le nouveau président américain signait un décret visant à « sécuriser la frontière sud des États-Unis grâce à la construction d’un mur ». Cela au prix d’une grave crise diplomatique avec le Mexique, auquel il veut faire payer un édifice très coûteux de 3  200 kilomètres. Le tout assorti d’un gros mensonge : Donald Trump a parlé de 4 à 10 milliards de dollars, alors que les architectes estiment le coût de cet ouvrage entre 27 et 40 milliards. Puis ce fut le calamiteux « Muslim Ban », frappant, temporairement mais brutalement, d’interdiction d’entrée sur le territoire américain les réfugiés et les ressortissants de sept pays musulmans, mais « oubliant » l’Arabie saoudite, partenaire pétrolier historique des États-Unis.

À lire aussi > notre timeline Trump Président, ou comment gouverner par décrets

Le plus grave est peut-être ailleurs. En quelques jours, Donald Trump a réussi à exacerber les tensions internationales sur plusieurs parties chaudes du globe. En multipliant les déclarations incendiaires, il a « mis en garde » l’Iran, sans que l’on sache très bien ce que cette menace – qui a évidemment ravi Israël – pouvait signifier. « Rien n’est exclu », a affirmé Trump lorsque des journalistes ont évoqué devant lui une éventuelle action militaire. Son élection a en tout cas stimulé deux de ses alliés. En Ukraine, les rebelles pro-russes ont repris leur offensive contre Adiivka, une ville de l’est du pays contrôlée par le gouvernement de Kiev. Et le gouvernement israélien, se félicitant que « les règles du jeu aient changé », s’est jeté dans une intensification sans précédent de la colonisation. Le 24 janvier, soit quatre jours après l’entrée de Trump à la Maison Blanche, Israël a annoncé la construction de 2 500 logements en Cisjordanie, et, le 1er février, un projet de 3 000 constructions supplémentaires. « Je vais délivrer des permis pour des milliers de logements », a également promis le maire de Jérusalem. Ce qui aboutirait à la liquidation de la solution à deux États.

Les amis de Donald Trump ont-ils montré trop d’empressement ? La diplomatie brouillonne de la nouvelle administration a en tout cas tenté de refroidir leurs ardeurs. À moins qu’il ne s’agisse de couacs qui donneront encore lieu à des revirements. En tout cas, la nouvelle ambassadrice à l’ONU, Nikki Haley, a finalement « condamné les actions agressives de la Russie » en Ukraine, et elle a affirmé devant le Conseil de sécurité que les sanctions contre Moscou seraient maintenues « jusqu’à ce que la Russie redonne le contrôle de la péninsule [la Crimée] à l’Ukraine ». Ce qui contredit toutes les promesses faites par Donald Trump à Vladimir Poutine.

De même, le 3 février, la Maison Blanche a jugé que « la construction de nouvelles colonies » dans les Territoires palestiniens occupés pourrait « ne pas aider » à résoudre le conflit israélo-palestinien… Formule certes sans conséquence aucune, mais qui contredit au moins formellement les encouragements adressés jusqu’ici à Benyamin Netanyahou. Le nouveau secrétaire d’État, Rex Tillerson, à peine intronisé, s’est toutefois hâté de contredire la contradiction en appelant le Premier ministre israélien pour l’assurer de « l’engagement sans failles » des États-Unis auprès de leurs « alliés clés ».

À ce bilan « diplomatique » déjà abondant, il faudrait ajouter les déclarations hostiles à l’adresse de l’Union européenne et l’approbation bruyante du Brexit, la quasi-reconnaissance de Taïwan, au risque de fâcher sérieusement Pékin, une engueulade avec le Premier ministre australien, traité de « stupide », une menace d’intervention contre la Corée du Nord… Et quelques autres sorties du même tonneau.

Au chapitre des grands tournants économiques, il faut évidemment citer l’abrogation du traité transpacifique. Une abrogation qui – et ce n’est pas le moindre paradoxe – profite plutôt à la Chine. Mais ce n’est pas tout. Le 3 février, Donald Trump a signé deux décrets qui remettent en cause la loi Dodd-Frank, adoptée en 2010 pour réglementer les transactions financières. « Difficile de faire un truc plus important que ça ! », s’est vanté Trump, qui encourage ainsi les banques à reprendre des pratiques spéculatives qui avaient été modérées après la crise de 2008. Combien de temps va-t-il tenir à ce rythme ?

Monde
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Trump : Déjà un mois de violence
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