Brest à corps battant
La 6e édition du très prospectif festival brestois DañsFabrik invite notamment à découvrir la vitalité de la scène chilienne.
dans l’hebdo N° 1443 Acheter ce numéro
Ouvert en 1988 et implanté au centre-ville de Brest, à deux pas de la place de la Liberté, le Quartz – qui jouit depuis 2001 du statut de scène nationale – s’est affirmé comme l’un des pôles les plus stimulants en matière de création artistique contemporaine (théâtre, danse, performance, musique, arts plastiques).
Mis sur pied par Matthieu Banvillet, directeur du Quartz depuis 2011, le festival DañsFabrik – dont la première édition a eu lieu en 2012 – constitue le principal temps fort de la saison. Se déployant sur une semaine, il explore le vaste champ de la création chorégraphique contemporaine, en France et ailleurs, à travers une programmation d’une inventive diversité. S’y mêlent pièces de danse, performances, installations, formes hybrides, ateliers participatifs et autres événements impromptus. Le tout est proposé non seulement au Quartz, effervescent QG du festival, mais également dans d’autres lieux et jusque dans l’espace public – ce qui, en plein hiver, à Brest, s’apparente forcément à un défi aux dieux capricieux de la météo…
Pour cette 6e édition de DañsFabrik, le festival déverse une vivifiante pluie de propositions, parmi lesquelles plusieurs créations ou premières françaises. Se détache néanmoins un dense focus sur la scène chilienne. « À chaque fois, nous invitons une personnalité étrangère – la plupart du temps un(e) artiste – à construire une partie du festival avec nous, explique Matthieu Banvillet. Ce qui nous intéresse, c’est la subjectivité d’un regard orienté sur une zone géographique particulière. »
Cette année, le Chili se donne ainsi à découvrir, à travers notamment le regard de Marcela Santander Corvalán, jeune danseuse et chorégraphe chilienne dont on a pu apprécier le solo Disparue lors de l’édition 2016. Artiste associée au Quartz depuis 2014, elle a choisi de concevoir sa programmation en lien étroit avec Nave, un centre de résidence et de création à Santiago du Chili, lequel a pour mission de soutenir la création et la recherche dans le domaine des arts vivants.
« C’est un lieu qui bouge, très dynamique, précise Matthieu Banvillet. Tous les artistes chiliens invités dans le cadre du Focus y ont transité à un moment ou à un autre de leur processus créatif. Comment la danse en particulier et l’art en général peuvent-ils permettre de recréer des espaces communs et de nouer de nouveaux liens sociaux ? C’est l’une des problématiques au cœur de l’action de Nave, qui se situe dans un quartier populaire de Santiago et s’investit beaucoup dans le champ social, notamment en organisant régulièrement des rendez-vous festifs : bals, repas, etc. »
Soulever le corps : tel est l’axe thématique (et physique) autour duquel s’articule la programmation élaborée par Marcela Santander Corvalán. Inévitablement empreinte des stigmates laissés par les longues années de dictature militaire, la danse/performance s’érige ici en moyen d’expression politique et de lutte poétique (ou l’inverse), en instrument de résistance à l’ordre établi.
Deuxième volet d’une série portant sur les danses traditionnelles menacées d’extinction ou déjà disparues, Dance & Resistance, pièce conçue par la chorégraphe chilienne Amanda Piña, avec le concours du plasticien et réalisateur suisse Daniel Zimmermann, apparaît à cet égard emblématique.
Autre invité de ce Focus chilien, Pedro Sepulveda Cruz-Coke travaille beaucoup, quant à lui, autour de la question de l’engagement dans la cité au sein du collectif Milm², dont il est le directeur artistique. Dans un esprit proche de l’agit-prop, il crée des genres de happenings qui s’appuient sur l’utilisation temporaire de zones ou d’infrastructures vacantes.
À Brest, Pedro Sepulveda Cruz-Coke présente Construir una biblioteca, sorte d’anthologie vivante du festival en train de se faire. À travers des ateliers, qu’il animera avec des participants volontaires, il entend susciter à la fois une réflexion sur les spectacles proposés et un questionnement des spectateurs sur leur rapport à la danse. Au fur et à mesure du festival, il éditera des petits fanzines accompagnant ce work in progress.
Hors Chili, ce DañsFabrik 2017 accorde une place de choix à Volmir Cordeiro, jeune danseur et chorégraphe brésilien installé en France depuis plusieurs années. On pourra d’abord découvrir sa nouvelle création, L’Œil, la Bouche et le Reste, une pièce pour quatre interprètes (dont lui-même) que Matthieu Banvillet décrit avec enthousiasme comme un « travail autour de l’expression dans la danse avec des interprètes très engagés physiquement, qui développent un langage puissant marqué notamment par une extrême mobilité des corps et des visages ».
En écho à la pièce est présentée au centre d’art La Passerelle une exposition éponyme qui s’inscrit dans le cadre des événements organisés à l’occasion des quarante ans du Centre Pompidou et s’appuie sur le riche patrimoine de Vidéodanse. Donnant à voir une sélection de vidéos centrée sur les multiples possibilités d’expression du corps et du visage, elle fait resurgir des figures importantes telles que Valeska Gert, Maguy Marin, Steven Cohen ou encore Vera Mantero.
En bonus, sur le lieu de l’exposition s’inscrira une proposition très singulière. Intitulée Une nuit des visages, elle adviendra, le temps d’une soirée unique, sous la forme d’un cabaret décalé, riche en surprises.
DañsFabrik, Brest, jusqu’au 4 mars, 02 98 33 70 70, www.dansfabrik.com
Exposition L’Œil, la Bouche et le Reste, La Passerelle, à Brest, jusqu’au 29 avril, 02 98 43 34 95, www.cac-passerelle.com