François Ruffin : « Je veux sortir les gens de l’indifférence »

De Nuit debout, dont il a été l’un des instigateurs, à « Picardie debout ! », son slogan de campagne, François Ruffin revient sur ses motivations à briguer un mandat de député.

Pauline Graulle  • 22 mars 2017 abonné·es
François Ruffin : « Je veux sortir les gens de l’indifférence »
© Photo : DENIS CHARLET/AFP

Démarrer la campagne des législatives alors même que la présidentielle n’a pas encore tout à fait commencé : c’est bien connu, François Ruffin ne fait rien comme tout le monde. Depuis le mois de février, le fondateur du journal Fakir et réalisateur du documentaire césarisé Merci patron ! a décidé de se lancer à corps perdu dans cette nouvelle bataille.

Après dix-huit ans d’engagement dans la société civile, l’agitateur, qui revendique son « populisme de gauche » plonge dans le grand bain de la politique. Dans la première circonscription d’Amiens – il vit et travaille dans la préfecture de la Somme depuis près de vingt ans –, il aura en face de lui deux candidats issus du PS (l’une soutient Hamon, l’autre, Macron), la droite et, surtout, le Front national, qui a battu des records dans les urnes aux régionales de 2015. Le parti frontiste mise d’ailleurs beaucoup sur cette circonscription, où il a parachuté le comédien Franck de Lapersonne, nouvelle coqueluche de Marine Le Pen.

Pas de quoi faire peur à François Ruffin. « Ils ont l’argent, on a les gens ! », clament ses affiches de campagne. Tel le David de Goliath, le candidat sait qu’il a de bons atouts : sa notoriété et le fait d’avoir derrière lui réunis la gauche de gauche : le PCF, la France insoumise et EELV. Ruffin peut aussi compter sur de nombreuses forces militantes locales.

Un an après avoir lancé le mouvement Nuit debout, qui remettait en cause la démocratie représentative, pourquoi avez-vous ressenti le besoin de vous lancer dans la politique « politicienne » ?

François Ruffin : Je n’ai jamais dissocié la rue et les urnes. J’ai toujours pensé que les élections influaient sur la vie des gens, sur le mouvement social, et inversement. Prenez le Front populaire : c’est une victoire électorale qui a été le déclencheur de la vaste grève, avec les avancées que l’on connaît.

Certes, à Fakir, nous n’avons jamais eu de rubrique « Politique », et je me suis toujours appliqué à être en lisière de ce monde, à garder mon nez assez loin des cuisines – car la tambouille, ça peut sentir mauvais ! Je voulais travailler idéologiquement dans la durée. Mais, même si on peut critiquer durement la question de la représentation nationale au Parlement – l’absence de députés issus de la classe ouvrière, par exemple –, je suis conscient que la politique « politicienne » est un mal nécessaire. Les syndicats et les partis sont des formes qui comptent si on veut pouvoir s’organiser collectivement. D’ailleurs, je n’ai jamais manqué une université d’été du Front de gauche depuis 2009.

Quelle est l’influence de votre métier de journaliste sur cette démarche ?

D’abord, je remplis déjà un peu, parfois, la fonction tribunitienne de porte-parole du peuple. Je pourrais le faire avec bien plus de poids et de légitimité si on me confiait l’écharpe tricolore.

Ensuite, quand on fait de l’enquête sociale, on est forcément conduit à s’interroger sur nos règles communes : pour éviter des injustices, comment changerait-on la loi ? En ce moment, je travaille sur les auxiliaires de vie sociale (AVS), et je me dis qu’un service public national de la dépendance pourrait changer les conditions de vie de ces femmes. Je réfléchis comme cela depuis des années sur bien des dossiers : les caissières du dimanche, le bâtiment, la fiscalité… À partir de cas concrets, je me demande ce que je changerais si j’étais élu. Ça fait presque un programme, à la fin !

Quel a été l’élément déclencheur pour entrer en campagne ?

Un jour, je me suis retrouvé face à la députée sortante, Pascale Boistard, et je l’ai trouvée tellement nulle que je me suis dit : « Pourquoi est-ce elle qui me représente et non l’inverse ? » Certes, je n’ai pas fait Science Po, je n’ai pas vingt ans de parti politique derrière moi, mais, comme reporter, cela fait dix-huit ans que j’écoute les gens, que je lis des livres d’économie, de sociologie, d’histoire… L’autre déclic, cela a été les régionales de 2015 : le FN a atteint 42 % dans la région, et pourtant la gauche, « notre » gauche, a été incapable de se rassembler.

Grâce à la séquence Merci patron ! puis à Nuit debout, j’ai acquis un peu de crédit. J’ai senti que des portes s’ouvraient et qu’en étant un peu habile, en discutant avec tout le monde, on pourrait se rassembler. Le fait d’être sans étiquette, d’être connu localement et de pouvoir passer par Paris (par Jean- Luc Mélenchon, Pierre Laurent, Julien Bayou – je les remercie au passage) m’a facilité la tâche.

Doit-on faire des compromis pour rassembler ?

J’ai averti mes interlocuteurs : « Il y a un truc auquel vous ne toucherez pas, c’est ma liberté d’expression. » Personne ne me fera défendre un programme ou une mesure auxquels je ne crois pas. Ensuite, franchement, cette mécanique politique ne m’intéresse pas. La vraie bagarre à mener, ce n’est pas l’union entre les partis, c’est de sortir les gens de l’indifférence !

Comment faites-vous ?

Je ne réussis pas toujours, mais, au moins, cette lutte contre la résignation m’obsède. J’ai l’impression d’être un mécano du mouvement social, de parfois trouver le bouton sur lequel appuyer pour réveiller quelque chose. Ma première étape, c’est d’attraper l’attention des gens. Quand j’annonce que je veux me payer au Smic quand je serai député, ça leur fait ouvrir un œil, au porte-à-porte. Quand je fais signer une pétition sur l’interdiction des produits Whirlpool [qui fermera son usine amiénoise de 300 salariés en 2018] du territoire français, c’est un autre point d’accroche.

Je me souviens d’un reportage en Guadeloupe après la « lutte contre la profitation » : j’ai beaucoup appris auprès des syndicalistes de l’UGTG [Union générale des travailleurs de Guadeloupe], fondée par des maoïstes. Ils ne parlaient jamais du colonialisme, mais des cannes à sucre et des loyers des maisons. C’est-à-dire qu’ils cherchaient la revendication qui paraissait concrète, accessible.

Il ne faut pas placer la barre trop haut, mais chercher le premier pas qui va sortir l’autre de ce sentiment d’impuissance. La difficulté est que, pour mener une lutte sociale, il faut mobiliser fortement un petit pourcentage de la population. Mais, pour avoir un résultat électoral, il faut mobiliser faiblement 25 % des gens, et pour cela, il faut toucher le peuple bien plus en profondeur.

Comment voyez-vous l’état de la gauche aujourd’hui ? Vous aviez appelé à ne plus voter PS…

Certes, mais ce n’était peut-être pas la plus lumineuse de mes idées si c’est pour que l’on vote Macron à la place ! J’ai d’ailleurs toujours considéré que la ligne de séparation entre gauche et droite passait à l’intérieur du PS, et je n’ai bien sûr jamais coupé les ponts avec Gérard Filoche ou des personnes comme ça… Après la présidentielle, il faudra discuter avec Benoît Hamon, par exemple.

Et si, dans une circonscription, une seule sur 577, j’ai réussi à réunir écolos, cocos, insoumis, gauchos, et que plein de véritables socialistes vont nous rejoindre, j’espère que ce rassemblement préfigure la gauche de demain.

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