Histoire sans faim

La metteure en scène Pauline Bureau revient sur le scandale du Mediator. Sans parvenir à donner à sa dénonciation la force tragique attendue.

Anaïs Heluin  • 15 mars 2017 abonné·es
Histoire sans faim
© Photo : Pierre Grosbois

L’affaire du Mediator est une tragédie qui n’en finit pas. Pourtant conclue par le retrait en 2009 du médicament antidiabétique détourné comme coupe-faim et commercialisé par les laboratoires Servier, l’affaire hante les mémoires au point de refaire régulièrement surface à l’occasion de nouveaux scandales sanitaires et politiques.

Le dernier épisode de ce triste feuilleton, impliquant le cardiologue Jean-Jacques Mourad, qui a démissionné de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron le 7 mars en raison de ses liens d’intérêts avec Servier, est concomitant des représentations de Mon Cœur, la nouvelle création de Pauline Bureau. Et suit de quelques mois le film La Fille de Brest, d’Emmanuelle Bercot, inspiré du parcours de la pneumologue et lanceuse d’alerte Irène Frachon. La fiction talonne le réel et tente de susciter la prise de conscience susceptible d’empêcher toute répétition d’une affaire de même gravité : mille à deux mille personnes pourraient y avoir trouvé la mort.

Au théâtre, le scandale du Mediator pose forcément la question de la représentation. Du rôle de l’art face aux dérives du pouvoir. Engagée dans une traque des traces de la dictature des apparences et des comportements imposés par la société, Pauline Bureau avait matière, avec cette affaire, à poursuivre son théâtre féministe de haute volée. Elle choisit pour cela de placer le combat d’Irène Frachon (Catherine Vinatier) au centre de son récit. Dans une obscurité percée d’une lumière vacillante, c’est en effet sa révolte qui ouvre la pièce, bientôt rejointe par le calvaire d’une victime du Mediator. Soit Claire Tabard (Marie Nicolle), mère célibataire d’une trentaine d’années et vendeuse de sous-vêtements féminins. Un personnage de fiction construit à partir des rencontres faites par Pauline Bureau.

D’abord parallèles, les trajectoires des deux femmes finissent par converger lors d’un procès intenté au laboratoire coupable, désigné sans ambiguïté par les protagonistes. Mon Cœur ne nous épargne rien de la démarche judiciaire ni de la descente aux enfers de Claire. La dégradation de ses rapports avec son compagnon (Yann Burlot), sa fatigue quotidienne, son inquiétude pour son fils (excellente Camille Garcia)… Présentées en de courts tableaux réalistes aux dialogues brefs, ces souffrances peinent pourtant à bouleverser. Elles ne sont pas non plus mises à distance par le discours porté par Catherine Vinatier, dont l’empathie le dispute sans cesse à la science et à l’indignation face aux conflits d’intérêts qui corrompent le corps médical.

En voulant documenter à la fois la douleur des victimes et les abus de pouvoir qui en sont la cause, Pauline Bureau flirte avec le manichéisme et le sentimentalisme qu’elle avait si bien su éviter dans ses pièces précédentes. Dans Modèles, notamment, grâce au mélange joyeux et assumé de paroles très diverses, du témoignage intime des quatre comédiennes à des citations d’auteures comme Simone de Beauvoir et Marguerite Duras.

Sans doute le sujet de cette nouvelle création rend-il difficile cette approche légère. L’hybride, quant à lui, y avait toute sa place. Or, si Irène Frachon et Claire Tabard ne parlent en effet pas la même langue, la mise en scène et le jeu mettent en valeur la première au détriment de la seconde. L’électrocardiogramme de Mon Cœur aurait gagné à être plus accidenté.

Mon Cœur, de Pauline Bureau, du 16 mars au 1er avril aux Bouffes du Nord, 37 bis, bd de La Chapelle, 75010 Paris, 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com. Tournée sur www.part-des-anges.com.

Théâtre
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