« HK » ne veut pas lâcher l’affaire

De tous les combats de la sphère altermondialiste, passionné par les mots, HK met en chansons ses révoltes et ses espoirs dans un nouvel album, L’Empire de papier. Rencontre.

Vanina Delmas  • 15 mars 2017 abonné·es
« HK » ne veut pas lâcher l’affaire
© Photo : FRANCOIS PAULETTO/ CITIZENSIDE/AFP

C’est un air qu’on fredonne sans vraiment savoir d’où il vient. Une séquence du JT dans laquelle des ouvriers chantaient avec détermination « On lâche rien » devant leur usine sur le point d’être délocalisée. C’est un souvenir de manifestation qui a l’insouciance des années lycée, l’odeur des amphis de fac ou le goût des gaz lacrymogène. Dans l’ombre de cette chanson devenue l’hymne des luttes sociales, il y a la voix chaleureuse et la plume incisive de HK.

Kaddour Hadadi – le nom derrière ces deux lettres mystérieuses – s’installe sur la banquette d’un café parisien et commande deux cafés crème. « La machine à café est en panne », répond la patronne, confuse. « Ah ! Deux cafés alors ! réplique-t-il, un brin moqueur. C’est digne du sketch des croissants de Fernand Raynaud ! » Le ton de l’entretien sera enjoué, le rythme soutenu. Le débit s’accélère et les mains s’agitent lorsqu’il commence à aborder toutes les causes qui l’animent.

Dans la sphère altermondialiste, tout le monde connaît HK, car il promène sa casquette et son keffieh dans toutes les mobilisations écologistes et sociales, ces « chants de bataille » : l’accueil des réfugiés, les sans-abri, les résistants de Notre-Dame-des-Landes, les Faucheurs de chaises, « les copains » de Florange, les Fralib, les Conti… D’ailleurs, voir Xavier Mathieu, le délégué CGT de ces derniers, arborer son tee-shirt « On lâche rien ! » sur tous les plateaux TV le fait toujours marrer.

Quoi que fasse HK, cette chanson « coup de gueule » lui colle aux baskets. Pourtant, ces vers écrits sur le coin d’une table dans son HLM de Roubaix remontent à 2008, quand Nicolas Sarkozy se gaussait de tous ces travailleurs qui manifestaient leur colère. « Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ! », lançait le nouveau président de la République devant les cadors de l’UMP hilares. « Il m’a énervé ! Des jours de grève, ce sont des centaines d’euros en moins et, quand on touche le Smic, ce n’est pas rien », clame HK avec la même rage qu’à l’époque. Lui parvient à vivre de sa musique, mais le tube « On lâche rien ! » ne l’a pas rendu millionnaire, car il l’a mis en téléchargement libre dès le début.

En 2012, le titre est repris par Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou, tous deux candidats au poste suprême de la Ve République. Une participation malgré lui à l’élection présidentielle, qu’il a décidé d’éviter cette année. Il veut juste apporter sa part, comme le colibri. Même si son nouvel album, L’Empire de papier [1], sort un mois et demi avant le premier tour de la présidentielle, son truc, c’est le terrain. En 2009, il participe à la Grande Marche pour la liberté de Gaza, au Caire, et se retrouve bloqué sur un trottoir avec 300 participants français, face aux policiers anti-émeute de Moubarak. « Il a commencé à chanter avec quelques musiciens palestiniens et cela a détendu l’atmosphère, raconte Xavier Renou, du collectif des Désobéissants, qui prône la non-violence comme forme d’action. Dans ses paroles, HK parvient à recréer du lien et à marier plusieurs cultures dans une période où la stigmatisation est reine. »

Une philosophie de l’engagement pacifique, car la tribune de HK est avant tout artistique. Comme lorsqu’il donne un concert au camp pour migrants de Grande-Synthe ou signe les émouvantes chansons « Refugee » et « J’ai marché jusqu’à vous », BO du documentaire de Rachid Oujdi sur les mineurs isolés étrangers. « On n’imagine pas la vie de ces mômes quand on les croise à la gare… »

Enchanté par Nuit debout et rêvant d’un Podemos à la française, HK fustige tous ces « irresponsables politiques » qui ont imposé l’état d’urgence permanent. Dans le clip de sa chanson « Assigné-e-s à résistance », tourné à la Fête de l’Huma, Hollande, Valls, Macron et les policiers sont grimés en guignols. « La gauche d’aujourd’hui se bat contre la gauche d’hier, contre sa propre histoire des luttes sociales », lâche-t-il, dépité.

Croissance, guerre, chiffres, lobbys, corruption… Ces termes le dégoûtent. Cet amoureux des mots croise les doigts pour que le débat s’élève dans les médias. « Ma meilleure idée a été de me séparer de ma télé après les attentats », revendique-t-il, ne supportant plus Éric Zemmour et les autres VRP de l’idéologie du Front national. « Les terroristes et les xénophobes sont les deux faces d’une même pièce. Quand l’un prospère, fait un coup d’éclat, l’autre applaudit, car ça lui donne raison. » Sa réponse aux attentats s’écoute dans « Ce soir nous irons au bal » et se lira dans son troisième roman, Le Cœur à l’outrage [2], prolongement de sa chanson appelant à rester unis. Son nouvel album (presque) solo, et « plus personnel », synthétise tout ce qui l’a touché depuis deux ans. Quelques notes nouvelles de reggae, de blues et de folk le rapprochent un peu plus des protest songs des deux Bob de son enfance : Dylan et Marley.

Ses quarante ans passés n’ont altéré ni son visage jovial ni son indignation perpétuelle, clin d’œil à son idole Stéphane Hessel. Et encore moins son enthousiasme à chaque nouvelle création. « J’essaye de toujours rester fidèle à cet ado qui croyait en ce qu’il disait, en ce qu’il faisait », glisse-t-il en se rappelant son enfance dans les courées pavées d’un quartier populaire de Roubaix.

Originaires d’Algérie, les parents d’HK s’installent dans un immeuble où les voisins viennent d’Italie, du Portugal, du Togo, d’Europe de l’Est… « C’étaient les JO tous les soirs ! », s’amuse-t-il. La précarité saignant tous les porte-monnaie sans distinction, l’entraide est naturelle. Son père, marchand de fruits et de légumes, approvisionne en tomates les mammas italiennes, qui les font mijoter pour remplir des bocaux de sauce tomate pour les familles. La mode des circuits courts ne date pas d’hier !

Une réalité sociale dont HK prend conscience en grandissant et qui lui fournit la matière première de ses premiers textes de rap, dans le groupe Juste Cause. Il se lance aussi dans la création d’une comédie musicale hip-hop, pour laquelle il fait appel à Saïd Zarouri, metteur en scène et comédien. La première maille d’un patchwork de projets en commun et d’une amitié indéfectible. « On répétait dans un petit local, on commençait à avoir une certaine notoriété locale puis, un jour, Kaddour m’annonce qu’on a décroché une date à l’Aéronef de Lille. On n’avait qu’une semaine pour se préparer ! », se souvient Saïd. L’adrénaline, le succès, mais aussi la prise de risque permanente. « Il aime lancer de nouveaux projets, quitte à repartir de zéro », poursuit son ami. En 2005, HK forme le MAP, le Ministère des affaires populaires, et fait émerger un rap ouvrier, sur fond d’accordéon et de violon, hommages à sa région natale. Mais la routine musicale n’est toujours pas son fort. Quatre ans plus tard, il fonde HK et les Saltimbanks, avec lesquels il fera trois albums aux intonations plus world music.

Loin de n’être qu’un poète de papier, l’artiste applique dans la vie les rimes qu’il joue sur scène, et mise sur la transmission. D’abord à ses deux filles, de 17 et 8 ans, chez qui il a déjà décelé le goût de l’engagement. Puis dans les écoles ou les centres sociaux, notamment des quartiers populaires, à coups d’ateliers d’écriture pour libérer la créativité de ces gamins qu’il connaît bien. « Quand tu grandis dans un certain environnement, il y a ce plafond de verre, voire cette chape de plomb qui te dit que rien n’est possible pour toi. » Il a échappé à cette fatalité grâce à son côté bravache. Si ses résultats scolaires n’étaient pas brillants, il a étoffé sa culture grâce aux 1001 vinyles de son frère (Miles Davis, les Beatles, Brel, Piaf, Gainsbourg, The Doors, Sam Cooke, Billie Holiday…) et lisait grâce aux textes des chansons. « Je traduisais même les paroles de Bob Marley ! », souligne-t-il. Depuis, il a appris à aimer les recueils de poésie et reste bouche bée – chose rare chez lui – devant les textes d’Aragon.

Les années passent et, comme dans sa chanson « Rosa », HK « en a eu assez de la cité HLM, de la grisaille et de l’acier », et a choisi Bergerac. Ses textes gardent la même justesse, ses albums sont les témoins des combats et des désillusions des citoyens au fil des élections. Son optimisme naturel garde ses zygomatiques en forme mais son regard critique sur la société a affûté son verbe. Faisons le pari que cet éternel utopiste fera encore sien le vœu d’Apollinaire de « rallumer les étoiles », ou au moins une étincelle d’indignation chez les nouvelles générations.

[1] L’Empire de papier, HK, Pias. En tournée à partir du 22 mars.

[2] Le Cœur à l’outrage, HK, Riveneuve Éditions, 10 euros.

Musique
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