Hocquenghem, révolution symbolique
Antoine Idier publie une biographie critique et un recueil d’articles du militant gay, écrivain et journaliste. Une pensée éclectique et engagée.
dans l’hebdo N° 1446 Acheter ce numéro
En ces temps de réaction sociale et culturelle, symbolisée par la montée en puissance d’un mouvement comme Sens commun, émanation de la Manif pour tous, constituée en lobby au sein des Républicains, la publication d’un recueil d’articles des années 1970 et 1980 et d’une biographie critique de Guy Hocquenghem tombe à point nommé.
Ces deux livres sont le fait d’Antoine Idier, sociologue et historien, fin connaisseur du mouvement LGBT français et auteur d’une histoire de la lutte pour l’abrogation des derniers alinéas discriminatoires du code pénal, intervenue en 1982 [1]. Une histoire dont Guy Hocquenghem, d’abord figure du gauchisme des années du « ressac de Mai », fut l’un des protagonistes en militant au Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), premier mouvement gay de l’Hexagone. Et l’un des pionniers de la « nouvelle littérature ouvertement homo », par son premier livre, Le Désir homosexuel (1972, rééd. Fayard, 2000).
On ne saurait toutefois résumer Hocquenghem à un auteur gay militant, comme le montre la diversité des sujets abordés dans ce recueil posthume, Un journal de rêve, reprenant le titre d’une chronique sur le journalisme dans Gai Pied Hebdo (1985). Dépénalisation des drogues dans une société « accro à la télé et au tiercé », mort de De Gaulle (moins importante, pour lui, que celle de Jimi Hendrix ou de Janis Joplin), assassinat de Pasolini, fermeture de la fac de Vincennes ou critique de la famille traditionnelle (déjà mal en point), il multiplie les interventions, parfois d’une impensable longueur pour la presse aujourd’hui, dans le premier Libé, Actuel, Tout ! ou Masques. On notera en particulier une enquête intellectuelle extrêmement fouillée, « Contre, tout contre la Nouvelle Droite » (1979), où il met en garde contre « l’audace » théorique de celle-ci, mais fustige aussi l’inefficience du phénomène intellectuel qui affirme alors la combattre, la « nouvelle philosophie », « dernière riposte de la “vieille droite” […] ou de la “vieille gauche”, comme on voudra, BHL ayant réalisé le pont de l’une à l’autre »…
Au fil de ces textes, on (re)découvre l’album imagé d’une époque, tout en couleur, à travers une pensée « qui s’obstine à repérer les nouveaux totems et tabous d’un monde en mutation ». Un monde qui ne va pas forcément en s’améliorant. Car c’est l’aurore de l’ère néolibérale qui pointe sous la plume aussi lucide qu’acide d’Hocquenghem, comme il le fera dans sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary (1986, rééd. Agone, 2014), fidèle à ses engagements de jeunesse contre les trop nombreux ex-soixante-huitards renégats. Mais aussi l’arrivée du sida, qui va très vite faucher l’écrivain à 42 ans, en 1988.
Comme le souligne Antoine Idier, reprenant les termes que Pierre Bourdieu utilisa pour caractériser l’œuvre de Manet un siècle plus tôt, Guy Hocquenghem fut finalement « l’auteur d’une “révolution symbolique” », celle « d’une transformation des catégories de perception et d’appréciation du monde et d’une mise en question des formes de pensée en vigueur »…
[1] Les Alinéas au placard. L’abrogation du délit d’homosexualité (1977-1982), Cartouche, 2013. Cf. Politis n° 1237 du 24 janvier 2013.
Un journal de rêve. Articles de presse (1970-1987), Guy Hocquenghem, éd. par Antoine Idier, Verticales, 320 p., 22 euros.
Les Vies de Guy Hocquenghem. Politique, sexualité, culture, Antoine Idier, Fayard, 356 p., 22 euros.