La gloire des obscurs

Dans un livre vibrant d’émotion, Edwy Plenel rend hommage au « Maitron », dictionnaire du mouvement ouvrier et social.

Denis Sieffert  • 15 mars 2017 abonné·es
La gloire des obscurs
© photo : ANONYME/AFP

« Monument immense et infini, qui nous permet de revisiter le mouvement ouvrier » : ainsi se présente « le Maitron », selon Edwy Plenel, dans un ouvrage vibrant d’émotion, semblable à un voyage qui emprunterait les ruelles plutôt que les grandes artères. « Le Maitron » – comme on dit « le Littré » ou « le Larousse » –, c’est ce dictionnaire biographique dirigé jusqu’à sa mort, en 1987, par l’historien Jean Maitron, et continué par les chercheurs Claude Pennetier et Paul Boulland. Une somme de soixante-seize tomes qui rend vies et justice à quelque 163 000 femmes et hommes, pour la plupart inconnus, qui, à force de résistances héroïques et souvent obscures, ont rendu le monde un peu moins injuste.

En hommage à cette colossale œuvre collective, Plenel nous propose d’abord une réflexion sur la philosophie du « Maitron », « l’histoire qu’il raconte et l’histoire qu’il pratique » ; puis il nous présente une sélection « subjective et aléatoire » de notices. La méthode de Jean Maitron et de ses héritiers, Plenel la définit d’une jolie formule : ce dictionnaire, c’est « la victoire des vaincus », l’histoire « d’en bas », « le plus souvent oubliée ou effacée, méprisée ou déformée ». Un ouvrier verrier, une journalière, un instituteur, un compagnon charpentier, tous « séditieux » ou « émeutiers », se côtoient dans cet immense cortège. Certaines notices tiennent en quelques mots rescapés de l’oubli, mais qui suffisent à fertiliser l’imagination. Ce sont des vies « qui nous parlent » immédiatement.

Plenel souligne l’absence totale de sectarisme de l’historien : « Le pluralisme est la règle d’or. » Maitron ne sélectionne pas entre tous les « ismes » – communisme, anarchisme, trotskisme, et bien d’autres. « Le seul critère, écrit le fondateur de Mediapart, c’est l’engagement, fût-il éphémère. » On rencontre l’homme, aussi, décrit par son ami Étienne Manac’h comme un « moraliste ». « L’accent nivernais, l’habit simple, la sympathie directe, le refus de la prétention, le respect de l’autre », se souvient Claude Pennetier.

Dans le dictionnaire de Jean Maitron, il n’y a pas que des inconnus. On fait même d’étonnantes rencontres. Citons, au hasard, Étienne Roda-Gil, « parolier anarchiste », fils de militant libertaire espagnol, auteur de textes à succès pour Julien Clerc, Claude François ou Juliette Gréco. On retrouve des « classiques », comme le chef de la révolution haïtienne Toussaint Louverture, les communards Gustave Flourens ou Élisée Reclus, et – moins connue – la pédagogue Pauline Kergomard. Et des dizaines d’autres répertoriés par époques et circonstances historiques, comme un avant-goût du « Maitron ». Plenel cite Patrick Boucheron : « Sauver le passé », c’est « sauver le présent ».

Voyage en terres d’espoir, Edwy Plenel, les Éditions de l’Atelier, 480 p., 25 euros.

La sortie de ce livre accompagne le colloque « Le printemps du Maitron », le 22 mars, Grand Amphi de la Sorbonne, à partir de 14 h (inscriptions : info@maitron.org).

Idées
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