« L’Autre Côté de l’espoir », d’Aki Kaurismäki : Un havre finlandais

Dans L’Autre Côté de l’espoir, Aki Kaurismäki prolonge à sa manière, non dénuée d’humour, son engagement en faveur des réfugiés.

Christophe Kantcheff  • 15 mars 2017 abonné·es
« L’Autre Côté de l’espoir », d’Aki Kaurismäki : Un havre finlandais
© Photo : Malla Hukkanen

L’Autre Côté de l’espoir : merveilleux titre pour un film qui oscille entre inquiétude et éclaircie quant à notre rapport aux réfugiés – celui des Occidentaux, ici les Finlandais. Aki Kaurismäki en avait déjà fait l’un des thèmes de son précédent opus, Le Havre (2011). Sa préoccupation s’est muée en un véritable engagement. Il a ces mots dans le dossier de presse : « L’Autre Côté de l’espoir est, je l’avoue volontiers, un film qui tend dans une certaine mesure et sans scrupule à influer sur l’opinion du spectateur et essaie de manipuler ses sentiments pour y parvenir. Cette tentative […] va naturellement échouer, mais il en reste, j’espère, un film intègre, un peu triste, porté par l’humour et un peu réaliste sur les destins de quelques hommes dans ce monde aujourd’hui. »

Même si c’est exprimé avec le sourire, les intentions du cinéaste sont claires et rejoignent ce que quelques-uns de ses confrères pratiquent au long de leur œuvre – on pense à un Guédiguian, par exemple. Aki Kaurismäki le fait sans rien céder au cinéma, et à sa manière – qui, on le sait, traite des affects de façon épurée, distanciée et toujours avec une dose de pince-sans-rire. Ici, l’action tourne autour d’un restaurant racheté par un homme, Wikström (Sakari Kuosmanen), qui vient de quitter sa femme, alcoolique, et l’activité dans laquelle il travaillait. Le cinéaste ne fait pas l’éloge d’une petite entreprise, mais d’un endroit plutôt miteux et improbable, où Wikström dispense une certaine humanité sans l’ombre d’une ostentation, sinon à son insu. Il a repris les trois membres du personnel au savoir-faire discutable, qu’il traite mieux que le propriétaire précédent.

En parallèle, on a fait la connaissance de Khaled (Sherwan Haji), réfugié syrien d’Alep – très beau premier plan où il émerge du noir d’un stock de houille sur un navire. Toute sa famille a été tuée dans un bombardement en Syrie ; seule sa sœur est vivante, quelque part en Europe.

Comme la quasi-intégralité des pays de ce continent, la Finlande dissimule derrière des structures juridiques a priori d’accueil une fermeture à ceux qui fuient la mort. Aki Kaurismäki montre crûment ce cynisme à l’œuvre, les conditions carcérales de rétention des demandeurs d’asile, la justification absurde du refus administratif. Il met aussi en scène une bande de skinheads, toujours prêts à casser de l’étranger.

C’est donc un film « un peu réaliste » qu’espère avoir réalisé le cinéaste. Il est vrai que tout cela résonne avec notre actualité. Pour autant, on n’apercevra ni ordinateur ni téléphone portable dans L’Autre Côté de l’espoir. Les intérieurs, les vêtements, les automobiles ont le parfum des années 1950, comme dans ses films précédents. Et tous les musiciens croisés ici ou là, comme Little Bob dans Le Havre, jouent du blues.

Cet aspect légèrement suranné ne fait qu’accentuer le caractère sombre de la violence latente. Mais ce « réalisme » que revendique Aki Kaurismäki vient aussi du fait qu’il sait révéler des mouvements de solidarité sans exacerber les sentiments des personnages. Quand Khaled trouve refuge dans le restaurant de Wikström, le film ne se départit pas de son flegme. C’est à la faveur de cet humour que le spectateur entre dans ce que le film a de plus profondément humain. Comme si le burlesque placide d’Aki Kaurismäki était son langage d’amour. Et soudain, au détour d’un plan, on se sent chavirer parce que le visage de Khaled rayonne malgré tout.

L’Autre Côté de l’espoir, Aki Kaurismäki, 1 h 38.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes