« Le Secret de la chambre noire », de Kiyoshi Kurosawa : Le fantôme d’argent
Kiyoshi Kurosawa signe un film sur les apparitions spectrales qui hantent un père photographe et sa fille, qui lui sert de modèle.
dans l’hebdo N° 1444 Acheter ce numéro
Théâtre d’ombres. Jeu d’illusions. Dès l’entrée de Jean dans l’univers de Stéphane, les frontières entre le réel, l’artifice et le fantasme s’estompent. Stéphane est photographe à l’ancienne, un as du daguerréotype et de l’immortalisation. Il déplace des plaques comme les éléments d’un décor qu’il passe dans une chambre noire, dans des bains de mercure, sous des douches chaudes au cœur d’un atelier évoquant des coulisses. Parois. Rideaux. Images…
Jean enchaînait les petits boulots avant de trouver ce poste d’assistant chez Stéphane. Il loge à Paris quand ce dernier habite un manoir en banlieue. Jean vient du réel. Stéphane l’a quitté depuis la mort de sa femme, qui s’est pendue dans la serre du jardin. Cette serre où officie Marie, leur fille de 22 ans, poupée gracile et diaphane qui s’est formée seule à l’art de la botanique.
Cette serre est comme le négatif de l’atelier de photo, un espace de lumières et de transparences, un coin de nature où respirent des œuvres vivantes. Marie est aussi le modèle de son père, rôle dans lequel elle a remplacé sa mère. Pour l’argentique, le temps de pose est si long que le photographe installe son modèle sur un appareil qui oscille entre l’objet d’art et l’instrument de torture. Quand Marie est fixée, elle s’absente. Le Secret de la chambre noire n’a pas tant à voir avec Le Mystère de la chambre jaune qu’avec un film de spectres.
Marie quitte la pose dans un état second et s’en retourne en glissant dans la maison en silence. À moins que ce ne soit le fantôme de sa mère qui fait s’entrouvrir les portes et vient tourmenter son père, artiste maudit dans son manoir hors d’âge. Ses meubles et ses tissus appartiennent à des temps anciens, comme les vêtements de Marie, coupes et coloris. Dans le grand miroir du hall clair, on redoute à chaque instant de voir passer un coin de robe sépulcral. Il y a surtout des cuves de liquides toxiques dans le jardin, qui menacent le sol et bientôt la serre…
Kiyoshi Kurosawa a trouvé l’espace idéal pour distiller ses sueurs froides et ses divagations sur l’esprit et la matière. Jusque dans les contre-champs un peu désuets et ultra-cinématophiques : photo de mode dans la campagne, brasserie parisienne… Il orchestre un parfait contraste entre Jean (Tahar Rahim) et cet étrange couple père-fille hanté (Olivier Gourmet et Constance Rousseau). Il manque cependant à ce cadre froid ce qui fait se nouer et la gorge et l’estomac : le sentiment d’une présence.
Le Secret de la chambre noire, Kiyoshi Kurosawa, 2 h 10.