Les écrans publicitaires arrivent dans les rues de Paris
Environ 250 panneaux promotionnels « digitaux » vont coloniser les trottoirs de la capitale, après les gares, le métro et les centres commerciaux. Sans l’ombre d’une consultation.
La reconduction du contrat avec Somupi, la filiale de JCDecaux qui vend les publicités dans les rues de Paris, a été votée le 28 mars pour les cinq prochaines années. Avec une nouveauté : 15 % des panneaux vont être remplacés par des écrans connectés et pilotés à distance.
L’apparition de ces quelque 250 écrans s’accompagne, comme souvent avec ce type de technologie, d’une communication vantant les nouveaux services rendus pour l’information municipale, comme les plans interactifs. La Ville de Paris s’est aussi largement répandue sur l’obligation faite à JCDecaux de bannir les pubs sexistes ou discriminatoires de ses panneaux. Ou encore sur le remplacement des panneaux de 8 mètres carrés par des panneaux plus petits.
Elle est moins diserte sur les nouveaux usages publicitaires, qui occuperont les deux tiers de la surface des futurs écrans installés dans les rues. « Le digital permet de changer n’importe quel message dans les minutes qui précèdent sa diffusion », vantait mercredi aux Échos Albert Asséraf, directeur général « stratégie, data et nouveaux usages » de JCDecaux. Autrement dit, les annonceurs pourront changer en fonction de l’heure de la journée ou de la météo, pour un impact décuplé. Ou intégrer la réalité virtuelle à leurs pubs, « pour faire jouer les passants », décrit Thomas Bourgenot de l’association Résistance à l’agression publicitaire (Rap).
Le groupe écologiste au conseil de Paris et Danielle Simonnet (l’élue du Parti de gauche) ont voté contre, mardi, estimant que ces panneaux constituent un « gouffre énergétique ». La mairie assure que les progrès technologiques feront baisser la facture énergétique d’un tiers par rapport à 2004. Mais l’argument est loin de satisfaire les écologistes : « Un écran consomme douze fois plus qu’un panneau publicitaire normal », déplore Hélène Bracon, attachée du groupe EELV.
#Pollution lumineuse, #ondes, refus d'utiliser les #EnR : c'est NON au nouveau contrat de #publicité
cc @JacquesBoutault en #ConseildeParis pic.twitter.com/kreVAlKQ1B— Groupe écolo Paris (@ecoloParis) March 28, 2017
Intervention de Jacques Boutault, maire EELV du 2e arrondissement de Paris :
L’association Rap, qui dénonce un « commerce forcé du regard des gens », s’apprête à attaquer le nouveau contrat devant le tribunal administratif, car les écrans publicitaires sont interdits par le Règlement local de publicité.
Pas de reconnaissance faciale… mais des balises Bluetooth
« Ces mobiliers parisiens ne présenteront aucun outil de mesure, de comptage ou de captation de données », rassure Albert Asséraf de JCDecaux, toujours dans Les Échos.
C’est en effet une grande inquiétude qui accompagne la diffusion des écrans publicitaires dans les lieux publics. Beaucoup, notamment à l’étranger, intègrent des technologies de « vidéo-comptage » par caméra intelligente : une webcam filme les passants, détecte leur âge, leur sexe et leur humeur supposée, pour offrir aux annonceurs des retours extrêmement pointus sur leur audience.
En revanche, les 1 630 panneaux publicitaires de Paris seront équipés de balises Bluetooth, dite « Beacons », la grande tendance du secteur, selon l’association Rap. Elles permettent à votre smartphone de se géolocaliser avec une extrême précision lorsque vous passer à proximité d’une balise et que votre Bluetooth est activé. L’application mobile d’une grande chaîne de magasins, voire demain celle d’un média partenaire ou de votre réseau social favori, peut donc vous envoyer des publicités personnalisées et contextualisées au gré de vos déplacements dans l’espace public. Les informations sur vos déplacements, enregistrées par l’application, sont une nouvelle mine d’informations pour des publicités encore plus personnalisées. Le tracking à l’œuvre pour la navigation sur Internet devient possible pour nos déplacements dans l’espace public.
Lire notre enquête >> Publicité : nos vies sous contrôle
Il y a un an, Orange et l’entreprise Phenix déployaient 5 000 de ces balises dans les commerces parisiens. « Un nouveau territoire de communication pour les marques », se félicitait l’entreprise. Et ces boîtiers se comptent déjà en « dizaines de milliers » dans les magasins français, juge également Arnaud Bingono, fondateur de Jacare Technologies, cité par Les Échos. Avec d’autres technologies similaires, ils ont déjà colonisé les abris de bus de Montréal ou encore (temporairement) les cabines téléphoniques de New York.
Ces technologies, largement opérationnelles, se diffusent lentement en France. Les écrans publicitaires du métro parisien sont équipés de caméras intelligentes. Mais elles ont été désactivées en 2008 par crainte du scandale (et sur décision de la Cnil en 2010).
Selon la loi française, tout dispositif de « vidéo-comptage » ou de mesure d’audience doit être autorisé par la Cnil et les passants doivent en être informés. « On sait qu’on va y aller », affirme pourtant aux Échos Ke-Quang Nguyen-Phuc, le patron de Quividi, une entreprise française qui commercialise dans 53 pays – dont la France – ces caméras intelligentes. Le débat public sur ces nouvelles forme de publicité est pour le moment très limité.