Mauvaise passe pour Benoît Hamon
Prise en étau entre un Jean-Luc Mélenchon stable et le PS qui veut peser sur ses choix politiques, la campagne du candidat socialiste patine.
dans l’hebdo N° 1444 Acheter ce numéro
Est-ce le « burn-out » qui guette ? Vendredi dernier, devant la presse réunie à son QG parisien du quartier de la République, Benoît Hamon se montrait inhabituellement excédé : « Je passe une journée sur les déserts médicaux, sur les cantines scolaires en milieu rural, une journée sur la fonction publique […] et on me parle de Fillon, cela n’est plus possible !, lâchait-il. Les demandes de vos rédactions – pardon ! – [qui] vous demandent d’attraper une réaction de Hamon sur ceci ou cela, je vais m’asseoir dessus. » Et d’avouer dans un souffle de dépit lucide : « C’est dur d’être positif. »
Ah, qu’elle semble loin la période bénie des primaires ! Oublié le temps où l’outsider socialiste parvenait à imposer ses thèmes de campagne aux grands médias. Évaporée aussi, la sérénité de la cérémonie d’investiture. Quand il se murmurait dans les couloirs de la Mutualité qu’il suffirait d’attendre que Jean-Luc Mélenchon tombe à 5 % dans les sondages pour qu’il rejoigne de lui-même la candidature Hamon…
Un mois plus tard, c’en est fini de l’état de grâce. Les courbes sondagières piquent du nez, faisant passer Benoît Hamon de 17 % des intentions de vote (début février) à 14 %, voire 12 %. Soit au même niveau que l’indéboulonnable Mélenchon. Et la faible audience du candidat socialiste (un million de téléspectateurs) à « On n’est pas couché » sur France 2, le 4 mars, n’a pas dû réchauffer les cœurs…
La campagne de Benoît Hamon patine. Le cercle infernal est lancé : plus la dynamique se tarit, plus le spectre de la 4e place – une triste première pour le PS – se dessine, et moins le candidat fédère. « Jusqu’à présent, le PS prospérait sur le vote utile, mais, comme il a perdu sa rente de position dominante, il en est devenu la victime », pointe Rémi Lefebvre, professeur de science politique à Lille-II et spécialiste du PS.
Certes, Hamon réussit à rassembler sur le versant société civile. De grands noms comme Thomas Piketty, François Gemenne, Sandra Laugier, Bastien François ou Éric de Montgolfier ont rejoint son comité de campagne. Mais, côté politique, c’est la bérézina. On ne compte plus les défections d’élus vers un Emmanuel Macron qui apparaît comme le seul à même d’éviter un second tour Fillon/Le Pen. Des départs qui pourraient apparaître comme positifs aux électeurs hamonistes qui ne souhaitent rien de mieux à leur champion que d’être débarrassé de la droite du parti.
Las ! Au lieu de déserter à bas bruit, les cadors de l’aile droite ont décidé de fronder bruyamment le frondeur. Loin de lui ficher la paix, ils lui intiment de changer de ligne. Voilà Hamon ligoté par son propre parti. Le ministre Patrick Kanner réclame désormais des « preuves d’amour » en échange de son soutien. Le député Jean-Marie Le Guen menace de ne pas accorder son parrainage, comme, affirme-t-il, « des dizaines et des dizaines d’autres parlementaires », si Hamon ne « déradicalise » pas un peu son discours.
Mardi 28 février, la réunion des vallsistes dans une salle bondée de l’Assemblée nationale (300 personnes, dont 130 à 150 parlementaires, selon un participant) apparaissait comme une nouvelle démonstration de force. Le lendemain, c’était au tour des radicaux de gauche de « reporter leur décision » pour la présidentielle afin que Benoît Hamon puisse « cré[er] les conditions […] pour rassembler toute la gauche ».
Au PS, l’accord avec EELV n’a pas été du goût de tout le monde. Sur le fond, nombreux sont ceux qui s’insurgent contre la remise en cause du Lyon-Turin, de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou du nucléaire, et reprochent à Hamon de leur avoir fait un accord « dans le dos », alors même que le vote des militants écolos s’organisait, lui, en grande pompe. Et puis 43 circonscriptions offertes à EELV et 41 postes dans l’organigramme de campagne… N’était-ce pas un peu généreux pour un parti moribond, crédité de 1 à 2 % dans les sondages ?
Même le « marais » socialiste, le ventre mou militant, se montre méfiant. Sur le terrain, et alors même que le député des Yvelines était arrivé en tête de quasiment tous les bureaux à la primaire, la campagne s’organise difficilement. À Marseille, où Benoît Hamon s’est rendu cette semaine, le premier fédéral de la puissante fédération des Bouches-du-Rhône est un anti-hamoniste notoire, ce qui ne l’a pas empêché d’être récemment reconduit dans ses fonctions. « Hamon est encore moins soutenu par le parti que Royal en 2007, affirme Rémi Lefebvre. La primaire n’a pas eu un effet de remobilisation du parti, et une grande partie de l’appareil est complètement attentiste. »
Et tandis que le hollandais Jean-Yves Le Drian négocie en sous-main avec les macronistes pour conserver son portefeuille de la Défense si le candidat d’En marche ! l’emporte en mai, Jean-Christophe Cambadélis se montre d’une indulgence remarquable avec les élus tentés par Macron : il n’est désormais plus question de les exclure du parti.
Loin d’être le signe encourageant d’un véritable changement de ligne politique, loin d’être le bon coup de balai attendu par un « peuple de gauche » qui avait décidé de donner une ultime chance – la « der des der » – à ce qui reste encore de gauche au PS, l’hémorragie de l’aile droite n’a donc finalement rien d’une bonne nouvelle.
Elle a surtout eu pour effet d’accroître les tergiversations et maladresses de Benoît Hamon, qui ont eu tôt fait de brouiller son image, d’abîmer sa crédibilité. En cause, sa manière de s’adresser, d’abord, à sa « famille » socialiste au soir du 29 janvier, alors que c’est aux électeurs non encartés qu’il devait sa victoire. Son « oubli », révélateur, d’appeler Jean-Luc Mélenchon au lendemain du second tour, comme il l’avait pourtant annoncé. Son recul sur le revenu universel et sa manie de ne plus parler d’« abrogation » de la loi travail, semant le trouble dans son électorat – au point qu’il devait publier, le 21 février, un communiqué de presse pour clarifier sa position sur le sujet. Son selfie, hilare, avec Emmanuel Macron au dîner du Crif. Son insistance à « espérer » (sic) que Manuel Valls s’engage dans sa campagne alors qu’il est devenu l’épouvantail à gauche…
Comme ses démêlés avec le PS, l’interminable poker menteur sur le rassemblement avec Mélenchon et la trop longue séquence sur l’accord avec EELV ont fini de renvoyer Benoît Hamon à son image d’apparatchik, adepte des tambouilles électorales. De ramener de la « vieille » politique là où l’on demandait le renouveau. Un renouveau des pratiques que, pour le coup, un Jean-Luc Mélenchon tout en inflexibilité et en intransigeance incarne finalement mieux. Et dont l’électorat, tout aussi inflexible et intransigeant, est plus difficile à « siphonner » que prévu…
Au lieu d’apparaître comme le « centre » de la gauche, Benoît Hamon règne aujourd’hui sur un no man’s land politique. Qu’il tire la couverture à gauche, il perd sa droite. Qu’il tire la couverture à droite, sa gauche l’abandonne. Et son espace politique se réduit comme une peau de chagrin. « Dans le fond, il ne pense pas pouvoir gagner la présidentielle, affirme Rémi Lefebvre, mais il y a un espace politique à occuper, qui se situe du côté des électeurs de gauche qui refusent le populisme de Mélenchon et qui veulent une gauche optimiste. » À supposer que ceux-ci ne se disent pas « à quoi bon ? » au matin du premier tour…
Il reste peu de temps pour les mobiliser et se faire entendre. Dans cette optique, Benoît Hamon a annoncé qu’il allait « revoir son approche ». Avancer de quinze jours la présentation « globale » de son programme. Jusqu’ici, la campagne du socialiste semblait calquée sur la célèbre formule du Cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. » Il serait temps qu’il comprenne qu’y rester peut se révéler tout aussi dangereux.