« Orpheline », d’Arnaud des Pallières : Quatre filles seules pour une personne

Dans Orpheline, Arnaud des Pallières dresse le portrait d’une jeune femme à travers différents moments de sa vie.

Christophe Kantcheff  • 29 mars 2017 abonnés
« Orpheline », d’Arnaud des Pallières : Quatre filles seules pour une personne

Le fait que quatre comédiennes interprètent une femme à quatre âges de sa vie – 27, 20, 13 et 6 ans –, tout en portant chacune un prénom différent, n’est pas un caprice de cinéaste. Certes, le spectateur peut en être perturbé, même si certains indices créent une continuité, comme la présence d’une époque à l’autre d’un même personnage. Ainsi, le père de l’adolescente et celui de la fillette de 6 ans se confondent (Nicolas Duvauchelle). Mais l’unité d’Orpheline, le cinquième long métrage d’Arnaud des Pallières, se situe sur un autre plan et finit par résonner avec force à travers une construction narrative singulière, qui laisse place à l’imaginaire du spectateur.

Le film commence avec Renée (Adèle Haenel), institutrice dans un quartier populaire, engagée dans son métier comme dans sa relation avec Darius (Jalil Lespert). Simultanément, une femme du genre « fatale » (Gemma Arterton) est en train de sortir de prison. Ce seul montage « parallèle » laisse à penser que ces deux lignes de récit vont se rejoindre. Et, en effet, des policiers font intrusion chez Darius et Renée pour arrêter celle-ci. Renée est rattrapée par son passé, dont son compagnon ignore tout, y compris son vrai patronyme. L’incarcération de Renée s’accompagne d’une autre nouvelle : elle est enceinte.

À partir de ce fil rouge, au présent, le récit va retourner en arrière à trois reprises. Ce ne sont pas des flash-back, mais une remontée dans le temps qui vient éclairer la personnalité de Renée, en même temps qu’elle la rend toujours plus complexe. Dans l’épisode où elle a 20 ans, Sandra (Adèle Exarchopoulos) entretient une relation ambiguë avec un homme beaucoup plus âgé, entre faux père et séducteur, qui lui trouve du travail dans un hippodrome. On la sent fragile, démunie socialement, influençable, peu fixée dans ses relations affectives et sexuelles. À 13 ans, brutalisée par son père, Karine (Solène Rigot) se donne aux hommes qui veulent d’elle, se faisant passer pour plus âgée. L’épisode où elle a 6 ans raconte la recherche de deux de ses copains, disparus soudainement. La petite Kiki (Vega Cuzytek) guide le père des gamins et le sien sur leurs lieux de jeu, dans l’obligation parfois de dévoiler leurs secrets d’enfants.

Orpheline, dit le titre : Renée l’est moins de ses parents que d’elle-même. Que Renée soit un prénom d’emprunt et qu’elle s’appelle différemment au long de son existence – outre le changement d’actrices – atteste symboliquement qu’elle est morcelée. À la question « qui est Renée ? », la réponse concerne moins sa carte d’identité que son moi profond. Chaque stade de sa vie correspond à des situations troubles et traumatisantes. De Kiki à Renée en passant par Karine et Sandra, un être s’est construit, ballotté dans ses sentiments, élaborant des stratégies de défense.

Orpheline ne surdétermine pas le personnage par une psychologie ou des données sociologiques envahissantes. Ce film d’une puissance évidente, comme l’était le précédent opus d’Arnaud des Pallières, Michael Kohlhaas, dresse le portrait intime d’une femme en lutte contre les autres mais surtout contre elle-même, en quête d’une émancipation lui permettant d’aimer et de transmettre.

Orpheline, Arnaud des Pallières, 1 h 51.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes