« Paris la blanche », de Lidia Leber Terki : Retour impossible
Dans Paris la blanche, Lidia Leber Terki revient sur l’histoire des chibanis. Sans pathos.
dans l’hebdo N° 1447 Acheter ce numéro
Dans la maturité de l’âge, et dans les murs de sa maison inachevée, plongeant au-dessus de la mer, elle est butée, cette femme. Ses grands enfants ont beau lui dire de ne pas y aller, elle insiste, veut forcer le destin et quitte sa Kabylie, avec une petite valise à roulettes pour seul bagage, dans le but de retrouver son mari, en France, parti il y a longtemps. Il y a même quarante-huit ans. Quarante-huit ans à travailler, à suer sur les chantiers, à envoyer sa paye au bled. Régulièrement, il est revenu à la maison. Mais voilà que depuis plusieurs mois, à la retraite enfin, il ne donne plus de nouvelles. Un silence insupportable pour Rekia (Tassadit Mandi, digne et mesurée).
Il lui faudra encore passer une nuit au port d’Alger, couchée sur un banc, et prendre le bateau, fébrile, dans l’incertitude de sa démarche, la fragilité des étapes jusqu’à Paris, saisie dans ses fantasmes. De quoi tourner en rond dans le métro, se paumer dans la foule, sans repères, à demander au premier passant si Nour, son mari (Zahir Bouzezar, superbe en gravité et sobriété), n’habiterait pas dans le coin. Rekia peut toujours compter sur sa bonne étoile, une bonne âme. Et c’est exactement ce qui va arriver. Une autre histoire commence alors.
Pour son premier long métrage, Lidia Leber Terki a choisi de se tourner vers l’histoire d’un couple séparé par la Méditerranée, l’histoire d’un chibani (signifiant « cheveux blancs » en arabe dialectal), de ces gens « de la première génération d’immigrés d’après-guerre du Maghreb, qu’on nomme aussi les “invisibles” », confie la réalisatrice. De vieux travailleurs à la retraite qui ne peuvent plus retourner chez eux, qui ne sont ni d’ici ni de là-bas, dans un entre-deux, étrangers à leurs enfants, silencieux, reclus dans leurs souvenirs, leurs sacrifices.
Un récit sensible mais sans pathos (la scène des retrouvailles dans un foyer perdu en banlieue, au milieu d’immeubles en construction, comme ceux que Nour a bâtis de ses mains calleuses, scène bouleversante et pudique, en est un exemple). Un récit qui évoque encore subtilement, en peu de mots, la colonisation et la guerre d’Algérie, flirte avec l’histoire d’amour inachevée, au diapason de la maison en Kabylie, croisant d’autres immigrations, des Syriens et des Soudanais, comme si l’histoire se renouvelait. Pour eux aussi, le retour reste un leurre.
Paris la blanche, Lidia Leber Terki, 1 h 26.